Un projet ambitieux, audacieux et novateur ! | Isabelle Pypaert Perrin

Par Isabelle Pypaert Perrin

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Isabelle Pypaert Perrin

« Le projet est ambitieux, audacieux et novateur ! Nous nous y engageons avec courage, détermination et confiance » a lancé Isabelle Pypaert Perrin, Déléguée Générale du Mouvement ATD Quart Monde dans son mot de conclusion du séminaire qui réunissait au domaine de Villarceaux les principaux responsables du projet de recherche « Déterminer les dimensions de la pauvreté et leurs mesures avec les premiers concernés ». En septembre 2016, la phase de mise en œuvre a été lancée par un séminaire interne, et présentée publiquement au Forum Mondial « Convergences »

Le monde reconnaît tout au plus à ceux qui résistent chaque jour à la violence de la misère une intelligence de la survie, il n’en attend pas une connaissance, un savoir indispensable pour repenser les projets, les politiques, le vivre-ensemble, faire face aux défis de l’humanité aujourd’hui.

Nous avons eu besoin de Joseph Wresinski pour comprendre que la personne qui se bat tous les jours pour affirmer qu’elle est un être humain a une réflexion, une intelligence de la vie et pense l’avenir du monde. L’homme enfermé dans la misère ne devrait voir que le mur qui se dresse devant lui, pourtant il voit au-delà du mur, et même il a une réflexion, une vision à partager, à approfondir avec d’autres, pour que tous les murs tombent et que l’humanité ne soit plus divisée.

  • Nous nous y lançons parce que nous n’en pouvons plus de voir toutes les politiques de lutte contre la pauvreté échouer, et souvent même créer plus de souffrances, de divisions.

Nous n’en pouvons plus de voir les grandes promesses comme la Déclaration du Millénaire se transformer en mensonges. Ban ki-moon lui-même a affirmé que les plus pauvres n’avaient pas été atteints par les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD).

Or, toute l’expérience du Mouvement ATD Quart Monde nous a appris que des projets et des politiques qui n’atteignent pas les plus pauvres, les rejettent dans une misère plus grande et une solitude plus grande encore.

Toutes ces politiques échouent parce que le savoir, l’intelligence qui les ont produites n’arrivent pas à comprendre la nature de la grande pauvreté dans toute ses dimensions. Si on ne comprend pas la nature de la grande pauvreté, comment en venir à bout ?

Si les indicateurs pour mesurer la pauvreté et l’impact des projets et des politiques permettent tout au plus à la communauté internationale de classer les pays ou d’avoir une photographie générale de l’état du monde, avec beaucoup d’angles morts, comment nous doter d’actions et de programmes pertinents pour venir à bout de la misère ? De quelle connaissance, de quels outils, de quels indicateurs le monde a-t-il besoin pour avancer dans cette ambition ?

Cette recherche offre une nouvelle expérimentation du Croisement des savoirs et des pratiques qui propose la mise en dialogue de différents savoirs : le savoir né de l’action, le savoir de vie des personnes qui vivent la pauvreté et le savoir universitaire.

  • Nous nous y lançons avec détermination et confiance car nous savons que nous pouvons nous appuyer sur les expériences et les savoir-faire reconnus des équipes successives des Ateliers du Croisement des savoirs et des pratiques.

Cette démarche du Croisement des Savoirs a inspiré plusieurs dynamiques du Mouvement, notamment le travail d’évaluation et de programmation qui a mené au programme d’action d’ATD Quart Monde à l’échelle du monde. Elle sous-tend aussi notre recherche d’une gouvernance tèt ansanm qui reconnaît l’intelligence et l’expérience de chacun, et encourage la coopération permanente entre nos membres issus de milieux sociaux divers, de cultures différentes. Cette démarche a aussi inspiré l’approche participative mise en œuvre pour la recherche intitulée « la misère est violence-rompre le silence-chercher la paix », qui a mobilisé plus d’un millier de personnes à travers le monde. Ce fut de même pour l’évaluation des OMD et l’élaboration de propositions politiques pour l’agenda post 2015, avec deux milliers de participants de différents pays.

Avec ce projet sur les indicateurs, nous mettrons en œuvre le Croisement des savoirs et des pratiques dans un contexte multiculturel, avec la même rigueur scientifique appliquée dans nos programmes franco-belge qui ont initié cette démarche : « Quart Monde -Université » (1996-1998) et Quart Monde Partenaire (2000-2001). Nous allons l’expérimenter, et c’est nouveau pour nous, dans le contexte universitaire anglophone. Cela l’enrichira. C’est une grande chance et une vraie aventure que nous allons vivre ainsi.

Cette approche donne de la solidité au projet et a su enthousiasmer les partenaires. Animé conjointement par Xavier Godinot d’ATD Quart Monde et Robert Walker, professeur de l’université d’Oxford co-directeur de la recherche, ce séminaire a réuni des responsables du projet au niveau national de Bolivie, Royaume Uni, Tanzanie, France, Bangladesh, Ukraine, États-Unis représentant ATD Quart Monde, Mati, le Secours Catholique qui ont pu dialoguer avec des experts de la question, membres ou représentants des membres du Conseil scientifique :

  • Magdalena Sépulveda, qui a été rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme et qui fait aboutir l’élaboration des Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme,
  • Sabina Alkire, qui a co-construit avec James Foster l’Indice Multidimensionnel de la pauvreté utilisé depuis 2010 par le PNUD,
  • Marco Mira d’Ercole représentant Martine Durand, Chef du département des statistiques à l’OCDE,
  • Anda David représentant Gaël Giraud, Chef économiste à l’AFD (Agence Française de développement).

Isabelle Pypaert Perrin termine son intervention sur les paroles d’une mère de famille de Centrafrique, Mme Gisèle Lamassi qui redit avec fierté et confiance comment la démarche de gouvernance d’ATD Quart monde « tèt ansanm » ouvre un chemin de paix.

« Tèt Ansam, ce mot chasse la misère. Si tu restes seul, si tu n’as pas l’idée d’être quelqu’un, tu vis mal. Si tu es avec les autres, si tu peux dire ce que tu penses, tu vis. Les années que nous venons de vivre étaient dures, et comme dans le Mouvement j’ai trouvé quelque chose de très précieux, alors malgré tout, la paix est tout le temps restée dans mon cœur. (…) Cette chose précieuse c’est le savoir et l’intelligence qui naissent dans le rassemblement qu’on développe dans le Mouvement. A cause de ça, je dis que je suis sortie de la misère. J’avais vécu tellement d’humiliations que je n’osais même pas ouvrir la bouche. Maintenant, c’est fini. Je sais que j’ai une intelligence pour battre la misère. Et c’est ça que je veux pour les jeunes de mon pays. C’est ça dont le Mouvement a besoin. C’est ça dont le pays a besoin. »

Photo ATD Quart Monde : « Que signifie la pauvreté pour vous ? », Villarceaux, France