Intervention de Moïse Compaoré Membre du Mouvement ATD Quart Monde Burkina Faso

Plénière d’ouverture Colloque international « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » Maison de l’UNESCO 26 Janvier 2012

Je vais vous raconter l’histoire d’une vieille dame qui vivait de mendicité à côté de la grande Mosquée, au centre ville.

Avec des amis, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose parce qu’elle veillait, seule, sur ses deux petits-enfants qui l’accompagnaient partout. Nous avons commencé à l’aider à construire sa maison à près de 8 kilomètres du centre ville.

On voulait qu’elle quitte la rue. On lui a proposé un petit commerce : on a monté le projet, on lui a donné l’argent et elle a commencé à vendre des légumes devant sa maison.

Pour l’accompagner, on a commencé à faire de l’alphabétisation dans sa cour pour ses petits enfants et les enfants du voisinage qui le désiraient.

On s’est rendu compte que la vieille devenait de plus en plus triste, anxieuse. Pour nous respecter, elle ne pouvait plus aller à la grande Mosquée et elle a fini par nous dire qu’ici, elle est laissée à elle même. “Les gens me regardent de façon bizarre et d’autres refusent même d’acheter ce que je vends. A la Mosquée, les gens me respectaient, ils s’adressaient à moi quand ils ont un problème. Ici personne ne me considère”.

Nous avons fini par nous rendre à l’évidence que la vieille Anne-Marie ne voulait pas de cette vie qu’on lui proposait. C’est nous qui avions pensé le projet pour elle et c’était voué à l’échec. On n’a pas pris le temps de réfléchir avec elle les voies les plus adéquates pour s’en sortir.

On s’est rendu compte qu’à la Mosquée, elle était reconnue, elle était devenue la grand-mère des jeunes qui vivaient dans la rue. Elle soignait les malades, gérait les conflits.

Face à la misère, on se sent indigné et choqué. On cherche des solutions. Ce n’est pas nous qui devons trouver la solution pour l’homme qui vit dans la misère. Il faut pouvoir se retenir, laisser ses certitudes et ensemble avec lui, trouver la solution. Sinon, on peut créer la dépendance.

Lors du séminaire de Dakar, quelqu’un disait : « nous avons des organisations qui marchent derrière nous ici, qui amènent beaucoup d’argent, qui amènent beaucoup de choses, beaucoup de choses mais ce n’est rien. Elles ne peuvent pas combattre la misère ni la pauvreté parce qu’elles ne connaissent pas à qui il faut adresser ce qu’elles apportent. Elles s’adressent aux plus intelligents, elles séparent, elles mettent des violences. Elles viennent donner du riz pendant six mois à quelqu’un, et le plus pauvre qui le mérite, elles ne passent pas chez lui. Ça c’est la violence. La façon d’agir comme ça sépare les gens ».

A travers nos échanges pendant ce Colloque, j’ai compris cette nécessité d’agir ensemble. Et pour ce faire, nous devons prendre le temps de nous écouter, de bien se connaître et se comprendre. Sans cette dynamique de recherche ensemble où chacun se révèle, on avance en laissant des gens derrière nous. L’un de nous disait « quand je dois remercier quelqu’un parce qu’il m’aide, le projet n’est pas adapté ». Et cela même est une violence que nous faisons à ceux là même que nous disons soutenir.