Intervention de Emma Poma Membre du Mouvement ATD Quart Monde Bolivie Plénière d’ouverture

Colloque international « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » Maison de l’UNESCO 26 Janvier 2012

J’ai commencé à travailler à l’âge de 10 ans. À 13 ou 14 ans, je travaillais à temps plein comme nourrice et 2 fois par mois je pouvais sortir rendre visite à ma famille. Au début, la dame semblait bienveillante. Elle m’a inscrit dans une école qui donne des cours du soir mais le niveau était très faible. Elle me conseillait de ne rien dire à qui que ce soit concernant mon travail. Plus tard, j’ai appris que si je ne devais rien dire c’était pour que personne ne sache combien je gagnais et combien j’aurais dû gagner.

De plus, quand ça lui chantait, elle ne m’envoyait pas à l’école pour que je travaille davantage. Comme je n’avais pas d’expérience dans les tâches domestiques et qu’elle ne m’avait pas appris tout ça, elle me maltraita et alla jusqu’à me frapper, m’insulter à cause de ce que je faisais mal. Et à cause de tout ce qui se passait, je me mettais à pleurer jusque là ça la gêne. Je supportais tout ça sans rien dire et je pris la décision d’arrêter de travailler pendant 2 ans. Au moment d’arrêter, parce qu’elle ne me payait pas, elle baissa mon salaire pour tout ce que j’avais cassé. C’était un prétexte pour ne pas me payer.

La dame m’interdisait également d’avoir des amis. Je me sentais vraiment piégée et quand j’ai quitté la maison, ce fut un soulagement.

Parce que nous gagnons peu d’argent, nous supportons tout quand nous sommes pauvres. Les personnes qui ont de l’argent profitent de nous. Nous les immigrés du camp, nous arrivons à trouver du travail dans la ville où les gens t’humilient constamment.

Mes parents sont des immigrés du camp de l’altiplano. Cela fait peu de temps que ma mère et moi avons partagé nos expériences remontant à l’enfance. Je lui ai raconté les situations très difficiles que j’avais vécues enfant, par exemple de ne pas avoir grandi avec elle et mes frères. Et au fond de moi, j’éprouvais de la rancœur contre elle. Ma mère m’a fait comprendre qu’elle avait vécu des situations plus graves encore. Elle avait tout gardé au fond d’elle-même.

Parfois, les humiliations sont comme un chaîne : nos parents les ont vécues, nous les vivons nous aussi et nous craignons que nos enfants les vivent un jour.

Quand ils te méprisent ou t’humilient, nous nous sentons inférieurs, comme si nous étions un objet, quelque chose sans valeur. C’est une violence qui nous affecte énormément parce que l’envie de vivre nous quitte. Cette séquelle reste en nous et il est difficile d’aller de l’avant.

Je prends conscience que chaque personne a son propre monde. Il est bien difficile de connaître la réalité de chacun. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ne peuvent s’exprimer, qui ne peuvent dire ce qu’ils vivent, de peur que peut-être une autre personne se moque d’elle, qu’elle ne les écoute pas, etc. Mais quand une personne se renferme sur elle-même, il est difficile de « se noyer ainsi dans un vase » et parfois, nous ne savons pas ce que nous sommes en train de faire et on devient violent. Quand nous extériorisons tout ce que l’on a à l’intérieur de nous, nous respirons et nous nous sentons soulagés, comme en paix.

En rencontrant de véritables amis, en participant à ces réunions qui se tiennent à la Casa de la Amistad (maison de l’amitié), la confiance s’installe petit à petit. Tu apprends à t’exprimer, et au bout d’un moment, cela te donne confiance en toi que tu puisses bien t’exprimer. Nous sommes arrivés jusqu’à ce colloque pendant lequel nous avons pu exposer les situations et les injustices que nous vivons.

J’ai vu tant d’injustices et il faut informer les gens qu’il y a encore beaucoup d’injustices. Et il devrait ne plus y en avoir.

Si nous ne savons pas, nous n’estimons pas ce qu’elle a ni ce qu’elle fait. Mais si une personne qui connaît d’autres personnes et d’autres expériences réfléchit bien, nous vivons des choses similaires et cela nous donne de la force pour faire valoir nos droits et de la dignité comme êtres humains à part entière. Nos enfants sont notre raison de vivre et ils nous donnent la force de continuer notre lutte.