Pour un avenir harmonieux | Isabelle Pypaert Perrin

Par Isabelle Pypaert Perrin

Isabelle PYPAERT PERRIN
Isabelle Pypaert Perrin

Assise avec Gisèle sous la paillote, j’essaie de ne rien perdre de ce qu’elle me raconte. « Le calme revient dans notre pays mais ces dernières années ont été terribles ».

Durant ces années où la violence des conflits s’est ajoutée à celle de la pauvreté extrême, les membres d’ATD Quart Monde sont restés liés, se souciant les uns des autres alors que certains étaient enfermés dans leur maison pour éviter les balles, d’autres réfugiés avec des milliers de familles dans des camps de toile, ou encore cachés dans la brousse.

Ils ont continué à s’organiser pour se rencontrer, se soutenir, résister au malheur, comme ces jeunes qui ont poursuivi les actions de partage du savoir, emmenant des livres aux enfants sans école. Ils ont su trouver le moyen de rester reliés à d’autres, au-delà des frontières de leur pays, continuant à réfléchir avec eux, apportant leur contribution à leurs efforts contre la misère. Ils l’ont fait parce que, comme me le dit Gisèle : « Têtes ensemble’, ces mots-là chassent la misère. Si tu es avec les autres, si tu peux dire ce que tu penses, alors tu vis. ». Je la questionne : « Et où avez-vous trouvé les ressources pour faire face ? ». « Dans le Mouvement, j’ai trouvé quelque chose de précieux, alors, malgré tout, la paix est restée dans mon cœur ». Elle poursuit :

« Dans ma vie, j’avais vécu tellement d’humiliations que je n’osais même pas ouvrir la bouche. Maintenant, c’est fini. Je sais que j’ai une intelligence pour battre la misère. Je l’ai découvert dans nos rencontres. Quand nous nous rassemblons, il y a un savoir qui naît. À cause de ça, je dis que je suis sortie de la misère ».

Cette force qui l’habite, Gisèle la transmet à ses enfants. Elle leur donne le courage d’aller à l’école, même quand elle n’a pas les moyens de leur acheter un cahier. Ce qu’elle a découvert, elle le partage avec d’autres dans son quartier. Quand elle voit quelqu’un dans la misère, elle cherche à ce qu’il puisse lui aussi goûter à la paix d’être reconnu au milieu des autres et de pouvoir parler sans honte, sans crainte de ne pas être cru.

Elle rappelle qu’on ne peut pas oublier dans nos projets ceux qui souffrent le plus, c’est pour eux qu’on est ensemble, c’est pour entendre leurs efforts et leur pensée. Gisèle et ceux qui lui ressemblent dans tous les pays nous disent avec force que loin d’être enfermées dans le seul effort de survivre au jour le jour, les personnes en situation de grande pauvreté déploient une intelligence d’elles-mêmes et des autres, une intelligence de ce qui nous rend humains ensemble, pour inventer un chemin de dignité et de paix pour tous. Cette intelligence, ce savoir qu’il faut compter avec tout le monde, n’est-ce pas ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui pour ne pas nous éloigner toujours plus d’un avenir harmonieux pour l’humanité ?

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Editorial publié dans la Revue Quart Monde n°239 – Bienveillance et résilience

 

 

Photo ATD Quart Monde : Bangui, Centrafrique