Intervention de Sheila Bunwaree Professeur, faculté d’études sociales et de sciences humaines, Université de l’Ile Maurice.

Les violences institutionnelles et politiques. Colloque international « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » Maison de l’UNESCO 26 Janvier 2012

Merci et bonjour. Comme on a que 7 minutes je vais entrer dans l’argument principal que j’ai préparé, quelques idées comme ça. Et je m’excuse des anglicismes qui pourraient se glisser dans l’intervention parce que je suis beaucoup plus à l’aise en anglais mais j’essaierai quand même.

Mon argument principal est que souvent l’État et plusieurs organismes internationaux à travers des institutions et des politiques qu’ils mettent en place peuvent être source de beaucoup de violences, d’injustices et de misère. Le cas récent du jeune tunisien Mohamed Bouazizi qui s’est immolé, un geste qui a déclenché le printemps arabe met en exergue à quel point beaucoup de nos dirigeants ignorent le mal et les violences qu’ils imposent à leur population. Par exemple il y a quelques années de là le continent africain, dont je suis originaire, les programmes d’ajustement structurels et les PRSP ( Poverty Reduction Strategy Papers ) imposés par le FMI et la Banque Mondiale ont démontré à quel point l’élite politique locale travaille parfois en collusion avec les grandes instances internationales et bien souvent au détriment de leur peuple. La paix comme nous le dit Martin Luther King n’est pas l’absence de conflits mais la présence de la justice. Mais de quelle justice s’agit-il ? Peut-on parler de justice lorsque politique et nos institutions ont un discours rhétorique d’inclusion et de justice sociale mais ne s’assurent en aucune façon qu’existe un vrai développement humain, et que la voix des citoyens soient pris en considération.

Pour obtenir la justice et donc la paix, une paix durable, le développement ne devrait pas être interprété seulement comme croissance seulement et par revenu par tête d’habitant. La croissance est certes une condition nécessaire mais insuffisante pour le développement humain. Le développement devrait être interprété et compris en lien avec ce que nous dit Amarty Sen, prix Nobel de la paix, le développement représente une certaine liberté :  » freedom from illiteracy, fredom from diseases, freedom from malnutrition, freedom from homelessness ect….  » ( libre sans l’illetrisme, libre sans maladies, libre sans la faim, libre avec un toit….). Et donc on doit aussi se rappeler que certains des indices que nos institutions développent de jour en jour peuvent être très « misleading » ( trompeurs) , c’est-à-dire nous donner un représentation incomplète de la situation. Qui aurait dit par exemple qu’un pays comme la Tunisie, qui était souvent citée comme un modèle de développement par la Banque Mondiale et le FMI, classée 7éme par le Ibrahim Index of African Governance, allait imploser et causer autant de violences et souffrances au peuple tunisien. Ce genre d’indice peuvent nous leurrer. Il faut, si l’on se considère comme des militants pour la justice sociale et des bâtisseurs de paix, faire bien attention. L’île Maurice, d’où je viens, est également citée comme une « success story » ( réussite), un modèle qui devrait être adopté par d’autres pays africains. Elle est aussi classée parmi les meilleur sur le Ibrahim Index of African Governance. Mais pourtant elle a beaucoup de problèmes : des inégalités criantes, une pauvreté grandissante à multiples visages. Elle risque dans les années à venir de subir une explosion sociale aussi. Alors cet havre de paix et de stabilité qu’elle représente aux yeux de certains n’existera plus.

Il va sans dire que la reconstruction de la paix sociale est encore plus difficile dans toutes les crises que nous vivons : « climate change crisis » (les changements climatiques), « the food crisis » ( la crise alimentaire) , « the global financial crisis » ( la crise financière mondiale ), la crise de l’euro. Et aussi lorsque l’école, on vient de l’entendre à travers la vidéo de Boubacar. Cette institution qui représente tant d’espoirs et d’opportunités, devient elle-même une source de violence. On doit s’arrêter et se poser quelques questions. En premier avoir accès à l’école est-ce suffisant ? La question de l’accès et se féliciter d’avoir atteint les objectifs du Millénaire comme nous, nous le faisons à Maurice peut être un indicateur dangereux, comme celui de la gouvernance auquel je viens de faire référence. Par exemple à Maurice nos dirigeants et beaucoup d’autres  » stakeholder » ( parties prenantes ) nous disent que nous faisons très bien par rapport à la chose éducative. Nous avons l’éducation gratuite et le transport gratuit. Et pourtant 35 à 40% de nos jeunes enfants à l’âge de 10 ans sont toujours exclus du système sans avenir aucun , sans aucune planification, avec très peu de possibilités et d’opportunités qui restent pour eux. Ce système qui exclut et qui ignore les multiples talents et intelligences que possèdent nos enfants font d’eux des  » rootlearners  » au lieu d’être des  » masters of interrogations « , pour reprendre les propos de quelqu’un qui avait parlé à Pierrelay lors de l’ouverture de ce colloque.

L’école mauricienne donc fait violence à l’enfant, surtout aux enfants issus des familles pauvres. Il y a des centaines de Boubacar à Maurice et dans plusieurs autres coins du monde. Or je crois aussi que c’est important de faire ressortir que l’école attend de ces enfants un certain capital culturel et un capital linguistique, auxquelles ma collègue vient de faire référence. C’est que notre système dépend toujours des langues des colonisateurs, et ce n’est que tout récemment qu’on a introduit à l’île Maurice le créole comme langue mais non pas comme  » medium of instruction  » ( moyen d’enseignement / langue d’enseignement ) dans les écoles. C’est là un facteur très important qui ne fait que contribuer à l’échec de nos enfants et à la grande pauvreté. Parce que la grande proportion des enfants qui échouent à l’école mauricienne, ce sont les enfants des pauvres. Pour conclure permettez moi de dire que sans vouloir être  » prescriptive  » ( normative ) qui ’il est très important que nous nous mobilisions pour développer et consolider ce que j’appelle un modèle ou  » framework  » des trois grands E : l’écoute, l’engagement et l’éthique. Sans écouter, sans s’engager et sans réclamer plus d’éthique au niveau du fonctionnement des institutions et de nos politiques, on risque de faire face à beaucoup plus de problèmes et la paix restera très fragile. Mais je reste convaincue qu’il encore quand même beaucoup d’espoir. Quand nous sommes rassemblés ici ensemble, parce qu’on y croit et qu’ensemble on pourrait transformer la condition humaine pour une plus grande justice et une paix durable. Merci.