Lucette Palas « libère la parole » face aux injustices

En ce 8 mars, journée internationale des droits des femmes, nous rendons hommage à toutes ces femmes souvent anonymes qui, comme Lucette Palas, militante Quart Monde de La Réunion, élèvent leur voix et agissent contre les injustices. Leur ténacité et leur force, leur confiance et leur empathie, nous permettent d’avancer chaque jour un peu plus vers un horizon de paix, de justice et de solidarité.

Article écrit par Julie Clair-Robelet dans le N°523 du Jounal d’ATD Quart Monde

La parole est un moteur

Pour Lucette Palas, la parole est un moteur pour lutter contre les préjugés et accéder aux droits. Enfant, elle ne comprenait pas pourquoi sa mère « baissait la tête et ne parlait pas ». Elle a donc décidé de prendre la parole et il est quasiment impossible de l’arrêter. Quelques mots de créole se glissent parfois dans son récit car, elle l’avoue, elle n’aime pas parler français. Elle est pourtant prête à le faire, chaque fois que c’est nécessaire, pour dénoncer les injustices et combattre les préjugés sur les personnes en situation de pauvreté. Et elle n’hésite pas à interpeller les personnes qu’elle croise : « détak la lang ! », « libère la parole ! ».

Pour Lucette, ATD Quart Monde a d’abord été un moyen d’évasion « par procuration ». Elle a 15 ans lorsqu’une amie lui fait connaître le Mouvement. « À cette période, je n’avais pas le droit de sortir, alors elle me racontait tout ce qu’elle faisait, les Bibliothèques de rue, la construction de la Maison Quart Monde, le groupe jeunes… ». Lucette obtient finalement l’autorisation de se rendre à une journée familiale organisée par le Mouvement. Elle est immédiatement marquée par la manière dont les militants prennent la parole. « C’était la première fois que je voyais une femme se lever devant des gens qu’elle ne connaissait pas, raconter ses difficultés et ne pas être jugée. »

Dire ce qui ne va pas

Quelques années plus tard, dans son quartier de la Chaloupe-Saint-Leu, des volontaires permanents lui proposent d’organiser une Bibliothèque de rue. Lucette se lance dans l’aventure, sans vraiment savoir de quoi il s’agit. « J’appelais tous les enfants sur ma route en passant et on mettait un tapis par terre, sur un parking. Il y avait vite 25 enfants, qui racontaient les violences qu’ils vivaient. Je ne pensais pas que ce serait un lieu si important pour eux. »

La Bibliothèque de rue attire aussi des mères de famille très isolées dans ce quartier rural de Saint Leu, où les infrastructures sont rares. Lucette décide alors de créer sa propre association, appelée Ti Yab Lé O. Dans ce groupe de paroles consacré aux violences faites aux femmes, Lucette introduit le théâtre-forum, pour permettre à chacun de s’exprimer et de trouver ensemble des solutions. « Ce n’était pas prévu de faire ce groupe, mais à force d’entendre ces histoires de violence, d’emprise, on a décidé de parler, pour que nos petites histoires personnelles puissent aider les autres. »

Après un déménagement, Lucette arrête la Bibliothèque de rue, mais elle participe à une démarche du Croisement des savoirs et des pratiques avec l’Institut régional du travail social. Elle se souvient encore de ces travailleurs sociaux qui, en écoutant les militants Quart Monde, se sont mis à pleurer. « Ils ne se rendaient pas compte à quel point les gens qu’ils reçoivent ont peur d’eux, de ce bureau qui fait comme une frontière entre eux et nous, des regards méprisants lorsqu’on ne trouve pas les mots en français. » Dans les collèges où elle va faire de la sensibilisation à l’accès aux droits pour tous, elle invite les jeunes à se soutenir entre eux et surtout à « dire ce qui ne va pas, ce qu’ils ne comprennent pas ».

Ne jamais avoir honte

Elle apprend aussi à sa fille à « ne jamais avoir honte de ce qu’elle est », même quand un professeur lui fait des remarques sur ses vêtements. « On entend des phrases toutes bêtes parfois, mais, moralement, ça peut nous tuer. Les services sociaux scrutent nos factures, on n’a plus de vie personnelle, on doit étaler toute notre vie en permanence, on se fait engueuler et on sort lessivé des entretiens à chaque fois. Mais on n’a pas le choix. »

Lucette participe aussi à plusieurs rencontres internationales de militants Quart Monde et à la Rencontre des engagements, en juillet 2021. Elle y découvre que les militants Quart Monde du monde entier font face aux mêmes problèmes.

« Maintenant, j’ai l’impression d’avoir des amis partout dans le monde, ça me donne de la force. »

Curieuse insatiable, elle devient également membre de l’équipe d’animation régionale et du conseil d’administration du Mouvement ATD Quart Monde à La Réunion, pour « voir comment fonctionnent les autres quartiers, comprendre les aspects financiers, poser plein de questions et faire en sorte que les militants Quart Monde ne soient pas laissés de côté ».

Ne pas lâcher

Elle passe aussi beaucoup de temps à accompagner les familles de son quartier pour leurs démarches administratives. Il n’est pas rare qu’un voisin vienne sonner chez elle car il n’a pas perçu son RSA, ou que des enfants débarquent le samedi matin pour savoir si la Bibliothèque de rue aura bien lieu. « Quand on est militant Quart Monde, on est dans le quartier 24 heures sur 24. Quand ça ne va pas trop pour nous, on n’a pas la possibilité de prendre du recul. » Elle avoue qu’elle a parfois eu envie d’abandonner, de ne plus répondre aux sollicitations. « Mais je vois le courage de ces familles et je vois qu’elles ont besoin de nous, donc il ne faut pas lâcher. Et quand j’arrive à les accompagner, ça me rebooste. Tant qu’il y aura quelqu’un à aider, je vais tenir. »

« La force d’ATD Quart Monde, c’est la parole des personnes en situation de pauvreté ».

Avec son énergie communicative, elle lance donc un appel aux militants Quart Monde : « Osez vous mettre en avant, prendre des responsabilités et surtout, parlez ».


Photo : Lucette Palas lors de la Rencontre des engagements, en juillet 2021 à Jambville. © Carmen Martos / ATD Quart Monde

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