A la rencontre de leur humanité

En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit est extraite de “ Histoires au-delà de la drogue et des ordures ” (Historias más allá del solvente y la basura), œuvre collective publiée par ATD Quart Monde au Guatemala.

Nous avons connu Armando pendant les ateliers artistiques hebdomadaires qu’ATD Quart Monde au Guatemala anime aux abords de la décharge de la capitale, dans la zone 3, et qui permettent de partager des moments de paix, de créativité et de dialogue avec les personnes qui survivent dans les rues autour de la décharge.
Des années auparavant, Armando avait été pasteur évangélique et tous l’appelaient « le Pasteur ». Quand il était lucide, il était très agréable de parler avec lui. Il aimait savoir ce que nous pensions de la vie et de la mort, il nous contait les dangers de la rue, l’épuisement résultant de la survie dans la rue, mais il nous parlait également de ses compagnons, de la manière dont ils se soutenaient… Il nous partageait ses rêves, et nous demandait quels étaient les nôtres. Il a tenté plusieurs fois de se libérer du mécanisme autodestructeur dans lequel il se trouvait, et après de nombreux essais et échecs, il a réussi à sortir du labyrinthe de la drogue et à quitter la rue. Deux années après, il est devenu le responsable d’un des centres de réhabilitation de la capitale, et peu de temps après, il est revenu rendre visite aux personnes de la zone 3 où il avait vécu tant d’années.

Quand Oscar Daniel, un autre homme que nous connaissions, s’est rétabli d’un accident qui l’a laissé pratiquement paralysé, nous ne trouvions personne qui voulait le prendre en charge. Il était détruit par la drogue et par la vie dans la rue depuis des années. Le Pasteur fut le seul capable de le recevoir dans son centre. Il lui offrit la possibilité d’avoir un lieu où expérimenter une autre vie, participer à l’organisation et recevoir autre chose que des coups. Nous avions entendu de nombreuses fois que Oscar Daniel ne survivrait jamais à la rue. Nous le pensions tous, chaque fois que nous le voyions tellement amoché, mais le Pasteur a permis à Oscar d’abandonner la rue et de vivre pleinement à nouveau.

  • Malgré les drogues, la souffrance vécue, la dégradation qu’entraîne la vie à la rue et sur la décharge, les personnes qui vivent là gardent en elles une humanité absolue, profondément ancrée, “protégée” d’une certaine manière. La découvrir est une chance, un cadeau, une source d’espoir…

Alors qu’on peut avoir l’impression souvent que leur vie ne changera pas et que ce que nous faisons ne sert à rien, être ici, prendre soin de ces relations est significatif et nous fait sentir autre chose que les “résultats” » : nous avons la conviction que toute personne est un cadeau à découvrir, et que nous ne devons laisser personne dans l’indifférence, ni perdre l’opportunité de les connaître, de les apprécier. Cela nous permet de nous connecter avec cette humanité sauvegardée à l’intérieur de toute personne et ce, malgré la misère. Grâce au fait que nous nous soyons fait une place dans leur vie, leur quotidien, et dans leurs cœurs, nous avons pu “démontrer” que ces personnes ont de l’importance à nos yeux et qu’elles pouvaient compter sur nous bien que nous ne soyons pas toujours à la hauteur et que nous ne pouvons pas empêcher les malheurs qui frappent leurs vies. Mynor l’explique avec ses propres mots : « En regardant un peu le chemin de ma vie dans la rue, ce qui m’affecte et m’a pas mal pesé, c’est d’être discriminé du fait d’appartenir à un groupe de la rue (…)

  • Je sens que derrière toute personne, quelle que soit la situation, il y a quelque chose de plus fort qui ne se voit pas à l’œil nu… Ce dont j’avais besoin, c’était que quelqu’un m’écoute. Plus que tout c’était ça : la nécessité de pouvoir communiquer. Qu’est-ce que c’est bien qu’il y ait des personnes comme ça, qui de manière désintéressée peuvent t’écouter ! Ce fut important pour moi…

Aujourd’hui je me sens capable d’écouter les autres. De fait, depuis que j’ai commencé à étudier, j’ai une obstination : je veux être psychologue… ”
Quand nous disons qu’il y a cette humanité en eux, ce n’est pas seulement d’une manière spirituelle ou abstraite. Ce qui nous permet de l’affirmer avec force et de le croire profondément, c’est qu’en faisant le chemin ensemble nous sommes témoins de leurs gestes concrets, des comportements au quotidien des uns envers les autres, et avec d’autres personnes qui ne vivent pas cet enfer de la vie de la rue ni de la drogue. Ces expériences nous montrent qu’il est possible de construire des passerelles entre les êtres humains qui ont des expériences de vie très différentes et d’avoir une relation entre les “sans” et les “avec” domicile fixe. Même si les conditions de ces rencontres peuvent être difficiles, cette relation est un acte, une proposition pour nous rencontrer, une prise en considération de ces hommes et de ces femmes. Parce que quand deux amis vivent dans la rue mais prennent soin d’eux mutuellement, c’est cela la dignité. Quand un être humain parle et qu’un autre l’écoute, c’est la dignité. Quand il y a de l’affection à donner et pas seulement une paire de chaussures, c’est la dignité. Quand une femme en état de dénutrition nourrit avec un peu de riz l’homme aveugle qu’elle aime, c’est la dignité. Quand, vivant entre les ordures, il reste l’envie de vivre, c’est la dignité. Quand c’est la paix que l’on recherche, alors qu’on a reçu tant de violence, c’est la dignité. Car en dignité, nous sommes tous issus du même monde, ou comme dit Paul, un ami de ces personnes du monde de la rue :

  • « Personne n’est en dehors de l’humanité ».


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