Une avancée pour les sans-défense

En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue. L’histoire qui suit a été écrite par Dominique Shaffhauser (France).

Charles Weiss et Anne Hoffmann, vanniers sédentarisés, avaient établi en 1962 leur domicile à Hoerdt, petite commune du Bas-Rhin en Alsace, sur un terrain à l’écart du village, au bord de la rivière Zorn où poussaient des osiers, utiles pour la fabrication des paniers. La famille vivait dans une caravane, entourée de quelques baraquements de fortune.

En janvier 1974, à la suite de vols imputés à deux des enfants de cette famille, des villageois vinrent proférer des menaces auprès du campement, des coups de feu furent même tirés.

Effrayés, Charles et Anne et leurs enfants quittèrent les lieux et s’enfuirent dans les bois, en laissant derrière eux la caravane, deux chiens, du mobilier et quelques objets, manifestement dans l’espoir de se réinstaller, une fois le calme revenu. C’était le 13 janvier 1974.

Le lendemain, le maire du village de Hoerdt arrive sur les lieux avec un bulldozer pour « nettoyer » le terrain et empêcher la famille Weiss de s’y réinstaller. Les chiens sont abattus, le campement incendié et le terrain arasé.

Apeurée, la famille, chassée de partout, se terre alors dans la forêt. Sans état civil établi, et ne sachant ni lire ni écrire, le couple ne peut agir en justice pour obtenir le respect de ses droits.

  • Alerté par un article de presse, ATD Quart Monde décide, devant la gravité des faits, de porter plainte pour « violation de domicile et destruction de lieux habités » afin qu’un comportement aussi hostile aux plus pauvres ne se renouvelle pas. Mais la loi française à cette époque-là n’autorise pas une association à défendre un particulier.

C’est le début d’un long combat juridique. Henri Bossan, volontaire permanent d’ATD Quart Monde, se bat durant dix ans pour faire aboutir ce droit à porter plainte. Un ami du Mouvement en Alsace, André Richter, s’engage aux côtés de la famille et ne la lâchera plus.

Salué par la doctrine juridique, un arrêt de la chambre d’accusation de la cour d’appel de Colmar, le 10 février 1977,

  • estime pour la première fois en France, qu’une association engagée dans la lutte contre l’exclusion comme ATD Quart Monde, même si elle n’a pas été personnellement victime des faits dénoncés, peut exercer les droits reconnus à la partie civile et agir en réparation des atteintes faites à des personnes dans l’incapacité de se défendre.

En effet, il fut reconnu que la famille, à cause de sa situation d’extrême dénuement, n’était pas en capacité de se défendre elle-même, et aurait été privée de l’accès à la justice auquel a droit tout citoyen. La plainte d’ATD Quart Monde qui représente et défend les populations les plus vulnérables, fut ainsi déclarée recevable.

A la suite de cette plainte, les poursuites furent longues. Le 21 avril 1983, la cour d’appel de Metz déclara le maire coupable de destruction d’objets mobiliers et immobiliers appartenant à autrui mais vues « les circonstances de la cause, de l’ancienneté de l’affaire, et le trouble résultant de l’infraction ayant cessé », elle le dispensa de peine et le condamna à réparer le préjudice matériel et moral de la famille Weiss et d’ATD Quart Monde.

Le droit pour les associations de lutte contre l’exclusion sociale d’agir en justice, quand des exclus subissent une injustice, fut consacré par la loi le 12 juillet 1990 et ne peut plus désormais être contesté.

La cause de la famille Weiss ne fut pas la première défendue par ATD Quart Monde, mais ce fut la première qui aboutit à une véritable avancée juridique en modifiant le code de procédure pénale. Le combat juridique d’ATD Quart Monde en France est souvent enseigné en première année de droit pour expliquer que le droit se construit.

Dessins réalisés par Mme Hoffmann en 1987.

Pour connaître d’autres 1001 histoires de changement, visitez le blog.

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