Les rencontres à la Cour, des mots qui peuvent changer le monde

  • « Certains dans le monde cherchent à gagner par les armes. Le Mouvement, lui, a pour seule arme des mots, mais ce sont des mots qui peuvent changer le monde, qui peuvent toucher des présidents et les faire réfléchir » -M. Parata, militant d’ATD Quart Monde.

Mais où et quand entendre ces mots ? Lors des Rencontres à la Cour, qui ont lieu chaque mois à Ouagadougou, au Burkina-Faso.
Les rencontres commencent par un café, souvent ambiancé par les taquineries des participants qui ont plaisir à se retrouver, et s’achèvent par un repas. Entre les deux, c’est la réunion, et là les choses sont sérieuses !

« Quand on vient participer aux Rencontres à la Cour, certains se moquent de nous, ils disent qu’on ne connaît pas notre valeur car on n’y gagne rien. Pourtant c’est le contraire. On voit que ce n’est pas humiliant, qu’on ne se rabaisse pas en venant ici. » Mme Bintou est fidèle depuis des années aux Rencontres à la Cour : « Ça nous aide à dormir en paix et ça nous encourage ».

Beaucoup déplorent que leurs « voix ne sortent pas de cette Cour ». Depuis quelques mois, ATD Quart Monde expérimente donc une nouvelle façon de faire. Le travail se fait en deux étapes : d’abord des rencontres-préparation dans lesquelles les personnes qui vivent la grande pauvreté peuvent exprimer leurs idées sur un thème donné, puis une rencontre avec un invité spécialisé sur ce thème.

Un premier cycle de trois rencontres a été expérimenté en 2016, sur les difficultés d’accès aux papiers d’identité des personnes en grande précarité. Pourquoi souvent les plus pauvres n’ont pas de papiers ? A quelles difficultés sont-ils confrontés pour y avoir accès ? Comment vit-on sans papiers ? Ces questions ont été travaillées en petits groupes de pairs (amis « citoyens solidaires » et familles vivant la précarité) avant la rencontre avec les invités.

La rencontre avec le chef de service de l’état civil et le président du tribunal de l’état civil de l’arrondissement 4 de la ville de Ouagadougou a commencé par un sketch, « Histoires de papiers » :

Deux amis discutent. L’un d’entre eux raconte qu’un homme s’est fait tuer dans la rue. Comme il n’avait pas de papiers et que personne ne connaissait sa famille, on l’a enterré « comme un mouton ». Son ami répond « Mais pourquoi il n’avait pas de papiers ? C’était sûrement un bandit, un voleur ! ». L’homme garde le silence, puis avoue : « Moi non plus je n’ai pas de papiers ! En 2009 les grosses pluies ont détruit ma maison, j’ai perdu tous mes papiers et ça a été le début de la galère » : il a dû mentir à son patron, n’a pas pu inscrire ses enfants à l’école… Son ami lui demande : « Mais pendant 7 ans, tu n’as rien fait pour avoir tes papiers ? ». Il répond : « Je ne suis pas allé au village depuis longtemps, j’ai honte de retourner pour ça. » L’ami lui dit « Donne-moi la route, je vais aller demander pardon à ton papa et il va te donner ton acte de naissance. »

Avec ce sketch, le ton était donné : ce n’est pas par négligence que les très pauvres n’ont souvent pas de papiers. Il y a toutes sortes d’obstacles : « J’ai peur d’aller au commissariat. J’ai peur que le policier m’humilie. » « Si tu as les moyens on va faire vite pour toi, sinon on te dit « reviens demain » et fatigué, tu n’y iras plus. » « C’est gênant de se présenter au tribunal où tout le monde te regarde. »

Ne pas avoir de papiers a des répercussions graves sur la vie quotidienne : « Tu as toujours peur quand tu te déplaces » « Tu ne peux même pas aller au village ! » « Tu n’as pas de liberté ! » « Tu ne peux pas passer d’examens » « Si tu as un accident on ne sait pas qui tu es. » « On se fait arrêter, racketter. » « C’est impossible d’inscrire tes enfants à l’école. »

Les deux invités ont écouté les participants et expliqué les lois et les démarches à effectuer pour obtenir des papiers. Les échanges ont été riches. Hélas, au-delà des lois, c’est souvent les humiliations qui attendent les très pauvres qui sont les véritables barrages à l’obtention des papiers.

Cependant, cette réunion a permis une véritable rencontre entre des personnes qui ne s’assoient jamais ensemble. Le président du tribunal d’État civil s’est étonné : « J’ai appris beaucoup de choses ce matin », avant qu’un militant ne conclue : « C’est parce qu’on ne s’assoit pas ensemble qu’on ne se comprend pas. »

Les rencontres à la Cour, c’est un chemin pour aller vers d’autres qui se construit dans la durée : « Nos réunions sont spécifiques. On ne donne pas aux invités un ordre à appliquer. C’est convaincre le cœur, c’est long, mais c’est pour un changement », explique un membre de l’équipe de préparation.

Encouragés par ce premier cycle réussi, les membres du mouvement préparent leurs témoignages pour le 17 octobre : passer de l’humiliation à la participation, c’est ce qu’ils font chaque mois lors des Rencontres à la Cour !