« Puisqu’on est encore vivants, on pourrait se rassembler, afin de poursuivre le combat de la misère »

Le blog « Lettres de Centrafrique » nous a permis durant les derniers mois de rester proches de nos amis de Centrafrique aux moments les plus difficiles de la crise que traverse le pays. Nous restons habités par leurs gestes de courage, leur sens de l’autre, même au cœur de la violence qui a meurtri les communautés. La vie reprend peu à peu, avec beaucoup de fragilité, son cours vers la normalité, toujours avec l’espoir profond d’une réconciliation durable. Nous voulons vous partager cette dernière lettre de l’équipe à travers ce blog que nous allons cesser d’alimenter. Nous continuerons bien sûr à rester en lien avec ceux qui continuent de se battre pour que la vie se transforme à partir de ceux qui ont le plus de mal à vivre ; nous vous donnerons des nouvelles sur le site du Mouvement ATD Quart Monde international d’une manière régulière.

« Se rassembler ». Dans la bouche de « papa » Pierre Tekpa, ami historique d’ATD Quart Monde à Bangui, ces mots ont repris des couleurs inespérées il y a encore quelques semaines.

En effet, le mois dernier, Monsieur Tekpa franchissait d’un pas précautionneux le portail de la cour, regardait à droite, à gauche, avançait quelques pas, puis s’approchait doucement, posant ses yeux sur chaque détail : de la fleur au toit de paille, des visages aux livres bien rangés. Oui, tout était là, et lui aussi. Et pour tous ceux qui étaient à la Cour, son apparition était un symbole du destin de tant de compatriotes.

Étant parti de son quartier pour cultiver son champ, l’an passé, à quelques 80 kms de la capitale, les combats ont augmenté en intensité alors qu’il était loin en brousse, et il n’a pu ni regagner son logement, ni communiquer avec personne pendant près de sept mois ! Pendant qu’à Bangui les amis du Mouvement posaient souvent la question : « Et « papa » Tekpa ? ». Sans réponse.

Et le voilà devant nous, son petit sac sous le bras, tête penchée et sourire en coin… « Tout le monde va bien. Et vous les amis ? Et ceux des autres pays ? Et ceux de tel et tel quartier de Bangui ? Racontez-moi ! ». Et de contempler l’album coloré des messages de soutiens venus du monde entier, pour des hommes comme lui, pour ceux, trop nombreux, qui ont vu beaucoup de souffrances.

Monsieur Tekpa a accepté l’invitation de participer à un chantier avec six jeunes, avec Charles et Joël ses vieux compagnons qui le retrouvaient à leur tour. Et lorsque chacun a pu causer, à la pause du chantier, évoquant le prochain 17 octobre 2014, Journée Mondiale du Refus de la Misère, « papa » Tekpa a eu cette idée : «  Puisque on est encore vivants, on pourrait se rassembler, afin de poursuivre le combat de la misère. »

La vie du pays a connu ces derniers mois des étapes importantes sur le chemin du processus de paix. Après le forum de la société civile en juin à Bangui et la réunion de « Cessez-le-feu » en juillet à Brazzaville, un Forum de « Réconciliation » s’annonce dans les régions puis dans la capitale. Avec les Nations Unies qui vont amplifier leur présence et leurs moyens (MINUSCA), une perspective de négociations et une volonté politique de ne pas traîner devraient permettre de conduire le pays vers des élections générales et locales. Parallèlement à ces avancées, la reprise des examens des enfants du primaire et du secondaire a donné un signal positif,même si au niveau universitaire des conflits sociaux grèvent encore le bon fonctionnement de l’ensemble. Le quotidien n’est pas exempt de violences, comme ces assassinats de chauffeurs camerounais entraînant la fermeture de la frontière, la situation tragique des Centrafricains ayant fui vers le Cameroun ou le Tchad qui sont trop affaiblis et n’arrivent pas à survivre. Les défis sont grands, mais les gens ont le regard tourné vers l’avenir.

La vie du Mouvement ATD Quart-Monde, vue depuis la Cour à Bangui bat au rythme des crises que traverse le pays, et reprend des couleurs tous les jours un peu plus. La paillote sert encore et toujours à trouver un soutien, une écoute, autour du partage des nouvelles qui « pèsent sur le cœur » et que beaucoup n’ont pu raconter depuis longtemps. La salle des savoirs permet de se donner des nouvelles un peu plus « vécues » que les seuls « on-dit » qui circulent dans les quartiers des uns et des autres. Et les belles occasions de se réunir à près de 50 animateurs entre mai et juillet 2014, ont redonné de l’ambiance à la silencieuse maison ATD des mois précédents ! Dans les quartiers Walingba, Mbongossoua, et même vers l’aéroport Mpoko où se trouvent déplacées de nombreuses familles du quartier de Kokoro, les visites ou même les Bibliothèques de rues ont pu rassembler à nouveau grands et petits. Il y a peu, une délégation centrafricaine d’animateurs de Bibliothèques de rue atterrissait en Côte d’Ivoire, et rejoignait des amis du Burkina Faso pour donner des conseils aux « animateurs débutants » de Bouaké.

Ainsi, tant dans le pays que dans la vie du Mouvement, il est possible de reprendre la phrase de « papa » Tekpa : « Puisque nous sommes encore vivants, alors continuons le combat de la misère  ».

C’est pourquoi, avec cette étape, nous souhaitons continuer de vous donner rendez-vous pour plus de nouvelles de la Centrafrique et de tous ceux que nous y connaissons par le biais des articles du site ATD Quart Monde international où nous espérons bientôt vous retrouver. Le blog « Lettres de Centrafrique » spécialement dédié à cette période critique de 2013-2014 terminera peu à peu son service, mais à vous, chers amis et lecteurs, nous osons vous demander de témoigner autour de vous de ce qu’en RCA, comme partout, le combat de la misère continue. »

Nous avons essayé durant tous ces mois d’être à la hauteur du courage de nos amis de Centrafrique, en cultivant avec eux la volonté de témoigner qu’il est possible de chercher et de poser des gestes de fraternité et de paix quand la violence se déchaîne. Tous ces gestes de résistance, le courage de nos amis, des jeunes, des familles, ce qu’ils ont appris aussi en continuant de se rencontrer et de s’engager, sont des pierres pour reconstruire demain quand la paix sera revenue. Merci à eux pour tout ce qu’ils nous ont partagé.

 Délégation Générale d’ATD Quart Monde : Isabelle Pypaert Perrin, Jacqueline Plaisir, Diana Skelton et Jean Toussaint