Malgré le regard qui pèse sur elles…

« Nous sommes regardés à la loupe », Guatemala, 2017 © Guillermo Diaz / ATD Quart Monde / CJW_AR0201602018


Éditorial du N°257 de la Revue Quart Monde, Domination et genre, écrit par Isabelle Pypaert Perrin, déléguée générale du Mouvement international ATD Quart Monde.

Il y a quelques jours, à Port-au-Prince, Mary-Love est allée s’inscrire à l’école primaire. Sa maman et sa meilleure amie l’accompagnaient. À 16 ans, Mary-Love n’est presque jamais allée à l’école. Toutes ces années, elle a porté courageusement avec sa maman la vie de sa famille si bouleversée par le dénuement et la violence des bandes armées dans son quartier. Au bureau des inscriptions, Mary-Love a dû se défendre. On doutait qu’elle soit suffisamment motivée !

Cette jeune fille tenace me fait penser à Nathalie, une jeune maman de 17 ans qui vit en France. Celle-ci a deux petites filles. Un soir, alors que son compagnon conduit, ils sont percutés par une voiture. Une des fillettes est gravement blessée et hospitalisée. Sa maman reste avec elle.

À Brigitte qui va leur rendre visite quelques jours plus tard, les infirmières disent : « Vous les connaissez ? Elle est bien jeune pour être mère de deux enfants. On l’a signalé aux services sociaux. Mais elle s’occupe très bien de sa fille. Elle la sécurise beaucoup et le papa vient tous les après-midis avec le bébé ».

Le père de ses enfants a 19 ans. Il a fait toute sa scolarité dans l’enseignement spécial. Il ne sait pas bien lire et écrire, pas assez pour remplir les formulaires de l’hôpital. C’est Nathalie qui le fait, elle qui était bonne à l’école. Son compagnon en est fier. Quand Brigitte rapporte les paroles des infirmières, Nathalie lui dit : « Je fais comme chez nous. Chez nous, les enfants c’est sacré ».

Pourtant ses petits frères et sœurs viennent d’être placés en famille d’accueil. Nathalie a proposé d’être la famille d’accueil de la plus jeune de ses sœurs mais cela lui a été refusé : trop jeune, pas majeure. Cette décision l’a mise en colère. Aînée de la famille, elle s’est beaucoup et merveilleusement occupée de sa petite sœur. Mary-Love et Nathalie, deux jeunes femmes, et combien d’autres, pleines de courage, de dynamisme, malgré une enfance et une adolescence contraintes par des conditions de misère, malgré une vie d’adulte commencée très tôt sans sécurités, malgré un avenir qui se dessine difficile.

Où trouvent-elles la liberté d’oser assumer leurs responsabilités malgré le regard qui pèse d’emblée sur elles ?

Depuis plus d’un siècle, un profond courant de libération des femmes fait chemin dans nos sociétés, leur permettant d’exprimer leur identité par elles-mêmes, sans être assujetties aux regards portés sur elles. Nathalie et Mary-Love veulent aussi être et devenir elles-mêmes. Osons-nous penser cette libération avec et à partir d’elles et de toutes les femmes de leur milieu qui mettent leur énergie pour aller avec leur famille, avec les leurs, au-delà de la misère qui les enserre ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *