Initiateurs d’un monde nouveau

Isabelle Pypaert Perrin, déléguée générale du Mouvement international ATD Quart Monde.
Éditorial de la revue Quart Monde n° 244. Extrait du message à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, le 17 octobre 2017.

Quel sens a la vie si, près de nous, d’autres meurent dans l’indifférence ?

Quel sens a la vie si des enfants s’interdisent de rêver jusqu’à dire : « Je ne rêve pas, ça ne sert à rien, je sais que ça n’arrivera pas » ?

Quel sens a la vie quand des mères en sont à se demander : « Si je laisse aux services sociaux l’enfant que je porte comme ils le veulent, est-ce qu’on me laissera faire le bonheur de celui qui a l’âge d’aller à l’école ? Ou est-ce qu’ils me le prendront aussi ? » ?

Quel sens a la vie quand des jeunes sont mis à l’écart de nos programmes sociaux et éducatifs parce qu’ils font peur, que plus personne n’attend rien de bon, ni d’eux, ni de leurs familles ?

Quel sens a la vie quand ceux qui luttent pour la justice parlent au nom des pauvres sans les rencontrer ?

Et quel sens avait la vie pour Joseph Wresinski, cet enfant de la misère qui, devenu homme, nous a rassemblés le 17 octobre il y a juste trente ans  ? […]

Dans quelle direction nous a-t-il entraînés à agir pour que le monde retrouve son sens ? Ce monde où la recherche effrénée de sécurité de ceux qui ont, renforce l’insécurité de ceux qui manquent de tout !

Sur ses pas, des femmes, des hommes, des jeunes et des enfants de partout dans le monde – comme nous aujourd’hui – ont refusé la culpabilité, la fatalité de la misère et le gâchis de leurs intelligences.

  • Ils osent provoquer des rencontres avec celles et ceux qui ne sont pas de leur monde, qui ne fréquentent pas les mêmes écoles, qui n’ont pas reçu la même éducation. Des rencontres avec le cœur, les mains et les intelligences, des rencontres réputées jusque-là impossibles.

Dans les quartiers où on a peur comme dans les tours d’ivoire et les lieux surprotégés. Entre ceux qui crèvent d’inutilité et ceux qui ont toujours trop de travail. Entre les plus humbles et les plus haut placés de ce monde. Des rencontres pour défendre les droits de ceux qui n’ont nulle part où aller si ce n’est dans les lieux où personne ne voudrait avoir à élever ses enfants.

Ensemble, en suscitant ces rencontres inespérées, ils découvrent la fierté de pouvoir se reconnaître d’une même humanité, capables de changements insoupçonnés, porteurs d’espérance pour un monde libéré de la misère.

[…] Et ils répondent ainsi à l’interpellation du père Joseph Wresinski au soir du rassemblement des défenseurs des droits de l’Homme le 17 octobre 1987, et invitent chacun à y répondre aujourd’hui encore :

  • « Et vous, serez-vous des initiateurs de cette route neuve où la justice l’emportera sur le profit, l’exploitation, la paix sur la guerre, où la justice et l’amour sont enfin réconciliés ? »

Oui, à nous tous de continuer à oser ces rencontres, le 17 octobre et tous les jours.