Féminisme et lutte contre la misère

 À l’occasion de la semaine durant laquelle nous célébrons la Journée Internationale des droits des femmes, découvrez une série d’articles qui met en lumière la capacité de résistance et l’inventivité des femmes face à la misère.

Voici le cinquième article de cette série, « Féminisme et lutte contre la misère » de Magdalena Brand, paru dans la Revue Quart Monde n° 223. Bien que ce texte ait été publié il y a dix ans,  les contributions de l’auteure constituent, jusqu’à aujourd’hui, des repères indispensables pour un féminisme et une société qui ne laissent personne de côté.

Reprenant des éléments d’une synthèse sur le thème « genre et extrême pauvreté » qu’elle a présentée à l’ONU, en juin 2011, Magdalena partage ce qu’elle a appris avec des militant·e·s et des volontaires d’ATD Quart Monde et son analyse des droits des femmes à partir de la perspective de la lutte contre la misère.


Un féminisme qui part des vécus des femmes qui vivent dans la misère

J‘ai toujours souhaité dialoguer avec d’autres sur le placement des enfants des milieux très pauvres pour des raisons sociales et économiques en France comme une question féministe. Mais je ne trouvais pas les outils dans les milieux féministes et à l’université pour pouvoir penser le placement involontaire pour raisons sociales et économiques des enfants des milieux très pauvres comme une violence imposée à des femmes. Il m’a donc fallu faire une pause dans mon féminisme essentiellement formé à partir des expériences des femmes blanches de la classe moyenne en France, et il m’a fallu faire une pause dans ma méthode de recherche en sociologie, essentiellement basée sur les savoirs actuellement autorisés en France, le point de vue des groupes privilégiés.

Cette pause était nécessaire pour apprendre et réapprendre des femmes qui vivent cette forme de violence et de contrôle sur leur vie.

J’ai donc avec beaucoup d’intérêt participé à la production d’une synthèse à partir de monographies, produites par le mouvement ATD Quart Monde, sur cette question :

  • qu’est-ce que le point de vue des femmes qui luttent au quotidien contre les violences de la misère, m’apprend sur l’articulation entre les inégalités de genre et les violences de l’extrême pauvreté ?

Il n’existe pas de groupe homogène de « femmes très pauvres ». Au contraire, la perspective d’ATD Quart Monde repose sur la conviction qu’il faut partir de la complexité et de la richesse de l’expérience personnelle qui constitue le quotidien des plus pauvres et la base d’une connaissance commune. Jusqu’à ce jour, les écrits du mouvement ATD Quart Monde développent des outils pour penser l’articulation entre le genre et l’extrême pauvreté, mais il faut constater que cette pensée n’influence pas les groupes féministes actuels, et il faut reconnaître que cette absence constitue une violence faite à la pensée des femmes des milieux les plus pauvres. Cette synthèse exprime ce que, en tant que féministe et universitaire, j’ai appris et compris de l’expérience et de la connaissance des femmes vivant l’extrême pauvreté.

Changement de regard

Les femmes qui doivent lutter au quotidien contre l’extrême pauvreté sont trop souvent cataloguées comme « victimes », dans la mesure où les projets et organisations ne tiennent pas compte de leur capacité de révolte et de résistance. Lorsqu’on ne reconnaît pas leur rôle actif, on perpétue le mythe selon lequel la soumission et l’infériorité sont la marque des populations les plus défavorisées.

Certains établissements d’assistance publique en Europe et en Amérique du Nord, ainsi que certains programmes de développement en Afrique ou en Amérique latine, ont tendance à considérer les femmes très pauvres comme des êtres passifs, résignés et même inconscients de leur oppression, s’accommodant d’une situation qu’une femme plus privilégiée ne tolérerait pas. Cette attitude se fonde sur l’idée que les femmes très pauvres sont des victimes incapables d’agir pour elles-mêmes.

Si les femmes qui luttent contre la pauvreté bénéficient aujourd’hui de l’aide de nombre d’organisations féministes, de refuges et de programmes de développement, elles sont rarement considérées comme des militantes.

  • Et cela au mépris du fait que les femmes qui vivent  la pauvreté sont des actrices de résistance contre la pauvreté extrême. Elles utilisent leur expérience pour tenter de se sortir de leur situation ainsi que celle de leur famille.

Mépriser la résistance, l’expérience et la connaissance des femmes les plus démunies constitue une atteinte à leur dignité et est donc un obstacle à une transformation féministe radicale et durable :

« Tant que la condition de la femme la plus pauvre durera, aucune femme ne sera réellement à l’abri. Car ce qui peut être refusé à la femme en bas de l’échelle sociale, n’est pas un droit inaliénable pour toutes les femmes » 1


Cet article est un extrait de « Féminisme et lutte contre la misère«  de Magdalena Brand publié dans la Revue Quart Monde : Femmes et hommes, n° 223, en 2012.

Pour lire l’article intégral, cliquer ici. 

  1. Alwine De Vos van Steenwijk et Joseph Wresinski, La femme du Quart Monde, une inconnue, Pierrelaye,  Éd. Sciences et Services, 1976.

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