La discrimination pour cause de précarité enfin reconnue par la loi

Le 14 juin 2016, ATD Quart Monde a gagné la bataille pour inscrire la discrimination pour précarité dans la loi. Traiter quelqu’un de « cas soc’ » (cas social), exclure un enfant de chômeurs de la cantine, refuser des soins à une personne bénéficiaire de la CMU-C, désormais ces faits pourront être signalés et les personnes défendues. Mais cette discrimination n’a toujours pas de mot pour la nommer, et il reste à faire évoluer les esprits…

C’est gagné ! La précarité sociale est désormais un critère de discrimination dans la législation française. Après les sénateurs le 18 juin 2015, les députés ont voté une loi en ce sens le 14 juin dernier. Pour ATD Quart Monde et ses partenaires, c’est une victoire qui couronne sept ans d’efforts depuis 2009, l’année où ATD Quart Monde a lancé le combat en déposant un dossier à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (la Halde).
« C’est enfin la reconnaissance de ce que vivent les personnes plus pauvres, se félicite Claire Hédon, présidente d’ATD Quart Monde France. C’est une grande avancée, un pas indispensable pour qu’enfin cette discrimination soit reconnue et nommée. Mais c’est aussi le début du chemin. Il reste du travail à faire auprès du grand public pour que les gens comprennent ce qui se cache derrière cette discrimination dont les marques sont souvent insidieuses. »

les membres d’ATD Quart Monde après le vote à l’Assemblée Nationale de la loi sur la discrimination pour précarité, le 14 juin 2016 (ph. Carmen Martos)

Une discrimination méconnue

La pauvreté est souvent vue comme un facteur d’injustice, mais la discrimination qu’elle engendre est plus méconnue. Pourtant, nombreux sont les droits bafoués par peur des personnes pauvres ou par présomption d’incapacité : accès aux soins pour les bénéficiaires de la CMU, refus de location alors que le loyer serait couvert par les aides au logement, discrimination à l’embauche pour les personnes dont le CV montre qu’elles sont passées par un centre d’hébergement ou une entreprise d’insertion, refus de construire des logements sociaux… L’image négative qu’elle engendre est à l’origine de nombreux non recours aux droits.

« Ma vie a toujours été marquée par des étiquettes, explique Doris Mary, militante à Lyon. Petite, j’étais une enfant placée. Adulte, je suis devenue une malade psy. Des exemples de discriminations, je peux vous en donner. Un jour, je suis allée voir un médiateur pour des questions de téléphonie. Je lui ai expliqué ma situation. Tout le temps de l’entretien, il s’adressait uniquement à la personne de la maison relais qui m’accompagnait, jamais à moi. J’en ai ressenti de la frustration et même de la colère. Et le peu de confiance que j’avais en moi a volé en éclats. »

« Je suis une personne au RSA, explique aussi Tony Jacques, de Reims. Mon domicile est un CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale). Cela me pose problème pour avoir des réponses à des offres d’emploi. Je ne reçois pas les courriers pour les déclarations semestrielles, pas non plus les offres de Pôle emploi, et même pas toujours les lettres d’ATD Quart Monde. J’ai fait une formation sur tous les métiers de la restauration rapide. J’attendais une réponse, j’ai rien reçu. C’est une discrimination de ne pas avoir de logement à moi et de ne pas avoir d’adresse. »

Dans un livre blanc « Discrimination et pauvreté » publié en 2013, ATD Quart Monde avait démontré, exemples à l’appui, que des personnes en situation de grande pauvreté souffraient de discriminations en raison même de leur précarité. Les auteurs du rapport avaient procédé à des testings. Ils avaient comparé les candidatures spontanées à un emploi de caissier dans la grande distribution : une personne passée par une entreprise d’insertion ou vivant en centre d’hébergement recevait nettement moins de réponses positives qu’une autre, moins défavorisée.

Or tout se passait comme si cela n’existait pas. La loi reconnaissait que des personnes pouvaient être injustement traitées car elles habitaient un quartier sensible ou souffraient d’un handicap. Mais elle ignorait les injustices visant les personnes pauvres.

Que change cette loi ?

La discrimination pour précarité sociale est inscrite dans deux textes : dans le Code pénal, ce qui implique qu’elle peut être sanctionnée par la loi, et dans le Code du travail. Elle s’ajoute aux 20 critères déjà reconnus.

Mais les législateurs ont jugé trop flou le terme de précarité sociale. Ils ont préféré une autre formulation : une personne ne peut être discriminée en raison de « sa particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique ».

Tout ne va pas pour autant se résoudre par miracle, mais c’est une base nécessaire pour faire évoluer les mentalités, voire, dans les cas les plus flagrants, pour intenter un procès.

Désormais, des personnes vivant ou côtoyant ces injustices peuvent être entendues. La France suit l’exemple de pays où une interdiction explicite de cette discrimination existe, avec des résultats significatifs : la Belgique, qui l’interdit depuis 2007, est en pointe, puis l’Afrique du sud en 2000, la Bolivie en 2010 et l’Équateur en 2014.

ATD Quart Monde a lancé un sondage pour donner un nom à cette forme de discrimination et l’identifier plus facilement.

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Photo de l’article :  marche du 17 Octobre 2013 à Metz conduite par des jeunes. « La manière dont les gens te regardent peut te tuer intérieurement » avaient dit les jeunes lors d’un sondage sur la discrimination en 2010.