Les interprètes bénévoles : faciliter les dialogues internationaux
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« J’ai voulu devenir interprète parce que j’ai toujours été fasciné par le pouvoir des mots et par ce qu’ils peuvent relier. Mettre des gens en contact, rendre possible la compréhension entre des cultures différentes, être ce trait d’union discret mais essentiel — c’est devenu pour moi une évidence. Interpréter, c’est écouter profondément, comprendre avec finesse, et offrir une voix à ceux qui ne pourraient autrement se comprendre. C’est une responsabilité, mais surtout un privilège. »
Sonia
ATD Quart Monde ne cesse d’explorer, à travers divers projets, recherches et études — notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, du logement et d’autres enjeux sociaux — des façons de lutter contre la pauvreté. Ce qui nous unit et nous donne de la force est notre engagement à faire en sorte que chaque projet n’aie pas seulement un impact sur le terrain, mais qu’il soit aussi compris par tous. C’est pourquoi nous nous efforçons d’organiser des rencontres multilingues, en veillant à ce que chaque participant, quelle que soit sa langue maternelle, puisse pleinement s’exprimer et comprendre les échanges. Cela nous permet d’être un mouvement international et interculturel.
Comment le faisons-nous ? Nous brisons la barrière linguistique grâce aux interprètes bénévoles.
Choisir le mot juste et interpréter avec précision ne sont pas des tâches faciles. Mais chacun des interprètes bénévoles fait toujours de son mieux qu’il s’agisse de porter la voix d’une mère vivant dans un bidonville jusqu’au chef de son pays, ou d’accompagner les membres du mouvement dans leur engagement sur le terrain. Si les échanges lors de nos réunions sont aussi riches et dynamiques, c’est que les participants bien compris ce qu’ils ont entendu de la part des interprètes.
Les interprètes font beaucoup derrière les cabines. Nous reconnaissons tous les efforts qu’ils déploient pour nous soutenir. Cet article met en lumière certains d’entre eux et partage leurs expériences sur leur profession. Nous le dédions à tous les interprètes professionnels qui ne se lassent pas d’offrir leurs compétences et leur assistance en matière d’interprétation.
À nos interprètes bénévoles, nous vous sommes reconnaissants de nous consacrer votre temps libre et vos compétences pour nous aider à nous rapprocher de notre objectif : lutter contre la pauvreté dans le monde.
Marjorie, Coordination des services linguistiques
« Effacer la distance »
« L’interprétation de conférences, pour moi en tant qu’interprète, c’est écouter avec toute son attention, comprendre au-delà des mots, et redonner la pensée dans une autre langue, avec fidélité, avec justesse. C’est devenir le souffle d’une parole étrangère, l’écho fidèle d’idées qui sont partagées. C’est effacer la distance entre les langues, et tisser un lien invisible entre ceux qui se parlent sans se comprendre. C’est peut-être un peu poétique, mais je le ressens de cette façon. »
nous explique Sonia dont la combinaison est français-espagnol.
Ou dit autrement par Elizabeth, qui interprète français-anglais. « L’interprétation consiste à faciliter le dialogue entre deux personnes qui ne parlent pas la même langue. » Celle-ci ajoute « J’aime aider à communiquer en franchissant la barrière de la langue. » et raconte : « Lors du Chantier Familles à Pierrelaye en novembre 2023, il y avait des militants, des alliés et des volontaires permanents. Ils ont pu travailler ensemble en étroite collaboration grâce à l’interprétariat. »
Étienne explique :
« En interprétant avec ATD Quart Monde, j’ai le sentiment d’aider à ma hauteur des acteur·ice·s de luttes dont je partage les valeurs en les aidant à communiquer. La barrière de la langue en moins, les volontaires et militant·e·s ont plus de temps pour se concentrer sur leurs réflexions et actions. »
Et c’est pourquoi il trouve le temps d’interpréter pour ATD Quart Monde. Il nous dit : « Soit je réserve des créneaux en avance pour interpréter avec ATD Quart Monde, soit je profite des moments creux de mon travail pour prêter main forte. […] En plus, le métier de traducteur·ice/interprète peut être parfois solitaire et la communauté que je vois dans ATD et à laquelle on se sent convié·e en venant interpréter (ou en interprétant en ligne) fait beaucoup de bien. ». »
Le côté humain de l’interprétariat est ce qui a donné le goût à Harriet de se lancer dans des études en interprétariat. Elle raconte :
« J’ai fait de l’interprétation pour une association qui travaillait avec des mineurs non accompagnés dans un contexte de migration et j’ai réalisé à quel point l’interprétation peut être essentielle et rassurante pour un.e client.e. C’est à ce moment-là que j’ai eu la volonté de poursuivre une carrière en interprétation, et je me suis finalement inscrite l’année dernière. »

Des acteurs de l’ombre dans des projets d’envergure
Nos interprètes bénévoles nous donnent généreusement de leur temps et nous permettent de travailler sur des projets uniques et novateurs où les personnes en situation de pauvreté peuvent participer aux décisions qui les concernent. Voici quelques-uns des moments fort qui ont marqué nos interprètes.
Florencia se rappelle :
« j’ai interprété le 17 octobre 2024, un événement de grande importance pour ATD qui m’a aussi ouvert les yeux concernant les difficultés que vivent les gens qui n’ont pas de papiers d’identité. ». En pensant à son travail d’interprète, elle dit : « je trouve qu’avec mon interprétation j’apporte ma toute petite pierre à l’édifice qui est cette énorme lutte contre la pauvreté.».
Avec leur sensibilité et leur discrétion, ils permettent aux causes et aux membres d’ATD Quart Monde de faire porter leur message. Étienne nous dit :
« Interpréter, c’est être présent·e et aider des personnes à se comprendre. C’est écouter les mots de personnes qui s’expriment, tout en prêtant attention à la situation, au langage corporel, à tout ce qui transmet, pour traduire tout ça dans une langue pour les personnes qui veulent écouter. J’ai toujours aimé étudier les langues et après avoir participé à des ateliers pour m’essayer à l’interprétation, j’ai tout de suite apprécié cette posture d’aidant qui se trouve un peu en retrait. »
Il nous partage un moment marquant qu’il a vécu en interprétant pour ATD Quart Monde : « C’était un Croisement des savoirs en ligne sur le thème Violences faites aux femmes vivant en situation de pauvreté en Bolivie. […] Lors de cette session, les intervenantes ont parlé de tout leur parcours de recherche, leur méthodologie et tout le travail mené par des universitaires, des employées de maison et des membres ATD. C’était un moment de présentation du chemin parcouru et que j’ai trouvé très fort et inspirant dans ce sens là. »
Un moment fort pour Sonia est aussi autour du Croisement des savoirs. Elle nous dit :
« C’était lors de la conférence internationale « Pauvreté, critique sociale et croisement de savoirs » (Université Paris-Cité décembre 2022). Je devais interpréter la Défenseuse des droits, qui a parlé pendant presque une heure et j’ai dû l’interpréter seule, parce ma collègue de cocabine se trouvait sur l’estrade pour faire l’interprétation consécutive de l’un des invités à la table ronde. [..] J’ai pris comme un grand défi à relever cette situation où personne pouvait me substituer. »
Dans nos réunions, nous portons une attention à ce que de bonnes conditions de travail soient respectées pour les interprètes : les intervenants doivent parler de manière claire, respecter le temps et le rythme, avoir le matériel approprié pour un bon son et fournir à l’avance des documents nécessaire à la réunion.

Dignité et humanité
Quand on a demandé aux interprètes pourquoi ils choisissent de travailler avec nous, plusieurs nous ont parlé de la dignité humaine. Harriet nous explique :
« La dignité est intrinsèquement humaine, ce qui signifie qu’elle implique une collaboration, un soutien mutuel et des interactions positives. Cette action humaine – action partagée – est ce qui permet aux gens de vivre dans la dignité que nous méritons et dont nous avons toutes et tous besoin. »
Sonia nous dit :
« Quand on rencontre ATD Quart Monde, on découvre que la pauvreté n’est pas seulement un manque d’argent, mais une exclusion, une humiliation silencieuse, un combat quotidien pour la dignité. On apprend que la pauvreté n’est pas le signe d’un échec personnel, mais souvent le résultat d’injustices profondes et de mécanismes invisibles qui enferment. En interprétant dans les réunions d’ATD, on comprend aussi que les personnes en grande précarité sont les premières expertes de leur propre situation, et qu’aucune lutte contre la pauvreté ne peut être juste sans leur voix, sans leur participation. »
Elle continue en disant : « Un interprète professionnel peut contribuer à lutter contre la pauvreté grâce au bénévolat en mettant ses compétences au service de ceux qui, souvent, n’ont pas accès à la parole. […] Son rôle devient alors bien plus qu’une simple traduction : c’est un acte concret de justice, de dignité, et de solidarité. »
Anne aussi voit que sa contribution participe à affirmer la dignité de chaque personne. Elle dit :
« En interprétant pour ATD Quart Monde, j’ai réalisé que je pouvais orienter ma pratique professionnelle pour me consacrer à des causes qui me tiennent à cœur. » Elle continue en en nous partageant : « Donner aux démuni·es voix au chapitre, c’est les reconnaître, mais aussi reconnaître l’humanité que nous portons en nous, et la faire circuler. »
Lors d’une réunion, une mère de l’île Maurice qui participait à l’une des réunions multilingues a déclaré : « C’était très émouvant de comprendre une mère comme moi, s’exprimant dans une autre langue, mais de pouvoir la comprendre dans ma langue (grâce à l’interprétation). Son histoire fait écho à nos vies quotidiennes – nos vies difficiles ! L’écouter me donne le courage de parler ! »
Nos membres se comprennent et se donnent ainsi du courage grâce au soutien des interprètes qui restent fidèles aux expressions de nos membres et ne manquent jamais de fournir les mots justes.
Vous êtes interprète professionnel ? Vous souhaitez également soutenir nos réunions ?
Écrivez à Marjorie à l’adresse suivante :