Des voix réduites au silence

  • « Tout le monde a le droit d’être écouté. Parfois, cela dit, on essaie de s’exprimer clairement mais les mots justes n’arrivent pas à sortir. Pour faire entendre sa voix, il faut avoir l’occasion de rencontrer d’autres personnes qui vous respectent. Le projet The Roles We Play [Ces rôles qu’on joue] donne aux gens une voix et une opportunité de partager leurs histoires toutes différentes. Le projet apprend aux personnes que chacun a sa propre histoire. Nous sommes des individus à part entière, pas de simples numéros. »
    Angela Babb, militante Quart Monde
Angela Babb

Ces propos d’Angela ont été prononcés dans le cadre d’un panel sur « Femmes, pauvreté et droits humains », lors du Women Economic Forum UK, qui s’est tenu au centre culturel indien Bhayan de Londres, le 1er février 2017. (Télécharger ici son intervention, en français)

Diana Skelton, volontaire permanente d’ATD Quart Monde, a présidé la discussion et s’est exprimée sur les conditions nécessaires pour que les voix des personnes soient entendues.

  • Il y a quelques années, une femme qui vivait dans la pauvreté s’était préparée pour se rendre à une réunion sur la pauvreté aux Nations Unies. Elle avait beaucoup à dire sur les conditions de vie très difficiles dont souffraient ses enfants à l’époque. Mais quand un journaliste s’est approché d’elle, la première question qu’on lui a posée, c’était : « Si c’est une rencontre sur la pauvreté, pourquoi est-ce que vous n’avez pas l’air pauvre ? » Entendre cette question l’a rendue incapable de lui parler. Elle n’avait pas envie de lui expliquer qu’elle avait emprunté sa robe pour pouvoir se sentir fière de marcher dans les couloirs d’une institution aussi prestigieuse que les Nations Unies, la tête haute. Les idées préconçues du journaliste à propos des plus pauvres l’enfermaient dans un stéréotype au lieu de lui donner l’opportunité de parler de ce que son expérience lui avait appris.
  • Une autre manière de réduire les plus pauvres au silence consiste à manipuler leurs propos. Par exemple, les enfants qui vivent dans la rue, en Afrique de l’Ouest, sont parfois interrogés par des journalistes. Il arrive qu’un journaliste emmène plusieurs enfants au restaurant en échange de leurs histoires. Mais dans une situation de pouvoir aussi inégalitaire, les enfants ont très vite l’impression de devoir au journaliste un récit des plus dramatiques. Ce qu’ils racontent dans cette situation peut être ou non la vérité. Et quoi qu’il en soit, plus tard, un enfant peut être amené à penser : « en parlant de ma famille de la sorte à un étranger, je leur ai fait honte. » Certains enfants regrettent tant leurs propos que l’interview les pousse à ne jamais revenir chez eux. Reconnaître les droits humains des personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté, cela exige de créer une situation d’égalité où chacun peut se préparer et se sentir libre d’exprimer ce qu’il juge le plus important. ATD Quart Monde et d’autres ONG ont créé un instrument pour aider tout le monde à y parvenir. Il s’intitule : « Faire des droits de l’homme une réalité pour les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté : Manuel pour la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. »
De gauche à droite: Carrie Supple, Angela Babb, Meera Tiwari. Standing: Diana Skelton.

Carrie Supple, directrice de Journey to Justice, a également pris la parole. Son organisation s’appuie sur le pouvoir de la musique, de la poésie et des autres arts pour donner vie à l’histoire des mouvements pour les droits humains, afin d’offrir force et inspiration à celles et ceux qui veulent aujourd’hui se battre pour la justice sociale. L’exposition nomade de « Journey to Justice » raconte les histoires méconnues de personnes impliquées dans le mouvement pour les droits civiques aux États-Unis, en tissant des liens avec les mouvements pour le changement, au Royaume-Uni, dans le passé et le présent. L’exposition, qui vise en particulier les jeunes gens et les publics scolaires, s’est déjà rendue à Newcastle, dans le Sunderland, dans le South Yorkshire, ainsi que dans l’East et South London. Elle sera présentée à Nottingham le 1er avril. Carrie a expliqué :

  • « Nous mettons l’accent sur le pouvoir des histoires jamais racontées de personnes qui ont pris part aux combats pour les droits humains : nous pouvons nous retrouver dans leurs expériences. On travaille principalement avec des personnes vulnérables ou pauvres. Les sujets importants comprennent le travail solidaire, la coopération, la responsabilité collective et individuelle. Nous avons besoin d’un équilibre entre les hommes et les femmes. Comme l’a dit Fannie Lou Hanner, agricultrice et l’une des chefs de file pour le mouvement des droits civiques : « Personne n’est libre tant que tout le monde n’est pas libre. »

Meera Tiwary de l’Université d’East London a parlé du fait que l’éducation des femmes améliore considérablement la santé de leurs enfants. Mais l’une des difficultés est que beaucoup de femmes qui vivent dans la pauvreté ne se considèrent pas dignes d’être éduquées. Elle a été frappée, lors de l’une de ses visites en Inde, d’entendre une femme qui répondait à sa porte dire « Personne n’est à la maison », comme si sa propre existence était sans importance. Elle a cité une étude récente qui montre que « les attentes à l’égard du succès témoignent d’une inégalité entre hommes et femmes dans les disciplines académiques ». Meera a expliqué que « ces attentes sont créées quand nous disons à nos enfants qu’un homme qui rencontre le succès est brillant mais qu’une femme dans le même cas doit avoir travaillé très dur. Nous devons changer de perspective. »

 

Santosh Dass

La dernière à parler fut Santosh Dass, fondatrice et vice-présidente de l’Alliance contre la Discrimination des Castes. Elle s’est exprimée sur l’existence de discriminations liée aux castes au Royaume-Uni, une réalité négligée par l’Equality Act de 2010, qui fait de l’ethnie et du genre des « caractéristiques protégées » mais ne reconnaît pas la caste. Santosh a donné l’exemple concret qu’une femme indienne âgée, qui vivait en Grande-Bretagne, et que son aide-soignante négligeait à cause de sa caste mais qui n’avait pas de recours judiciaire malgré l’Act. Dass a dit : « Pour moi, c’est clair et simple. Si nous avons des lois au Royaume-Uni pour protéger les plus vulnérables d’autres discriminations, fondées sur l’âge, le handicap, le genre, l’ethnie ou la sexualité, pourquoi ne pas les protéger contre les discriminations de caste ? La législation peut aider à la prévention, en particulier, comme nous l’avons suggéré, envers ceux qui ne sont pas en mesure de participer au dialogue nécessaire pour que les choses avancent. La loi ne sert pas à diviser les communautés : elle peut aider à soutenir les bonnes habitudes et les bons comportements. »