Soutenir les chemins pour sortir de l’extrême pauvreté

Comment la société civile et les États peuvent-ils soutenir les foyers qui commencent à sortir de la pauvreté, afin qu’ils ne retombent jamais sous le seuil de pauvreté ? Cette question était le point central d’un événement organisé, le 6 février 2018, par le Réseau de Conseil sur la Pauvreté Chronique (Chronic Poverty Advisory Network, CPAN), à l’Institut de Développement de l’Outremer (Overseas Development Institute) de Londres, où ATD Quart Monde a été invité à s’exprimer sur des recherches récentes.

Les travaux du CPAN, intitulés « Comprendre et soutenir durablement les voies de sortie de l’extrême pauvreté », étaient consacrés à « la tendance préoccupante, dans des pays comme le Kenya, l’Ouganda ou la Tanzanie, d’une proportion significative de foyers qui étaient sortis de la pauvreté à y retomber après une période de 8 à 10 ans ». Ses études de terrain en Éthiopie, au Rwanda, en Tanzanie, au Kenya, au Népal, au Bangladesh et en Ouganda, que l’on peut consulter sur le site de l’Institut de Développement de l’Outremer, cherchent à mettre en évidence les circonstances qui ont aidé ou non à permettre une sortie de la pauvreté sur le long terme.

Le CPAN a invité différents acteurs à réfléchir aux implications de cette recherche pour les politiques publiques, comme le Département pour le Développement International du Royaume Uni, BRAC RU, la campagne ONE et ATD Quart Monde. Diana Skelton, qui parlait au nom d’ATD Quart Monde, a souligné qu’elle appréciait les recommandations faites en faveur de la construction de capacités plutôt que de la dépendance et du tutorat. Néanmoins, elle a aussi fait part de plusieurs préoccupations :

Au Kenya, on propose que les bénéficiaires de l’aide sociale soient contraints à s’engager dans les travaux publics ou dans des programmes de formation. Ce genre d’exigences a cours depuis longtemps dans des pays comme le Royaume Uni, avec des résultats négatifs. Dans le livre « The New Poverty », Stephen Armstrong a montré qu’il était devenu impossible pour un demandeur d’emploi en Grande Bretagne de recevoir des aides sociales quand, par exemple, il est contraint de postuler à 24 emplois par semaine sur un site internet mais ne peut pas s’offrir le transport jusqu’en bibliothèque assez souvent pour avoir son tour sur les postes internet. La conception verticale de ces conditions peut exclure les personnes mêmes qui ont le plus besoin d’assistance. Il est capital de veiller à ce que l’aide sociale ne devienne pas un outil de surveillance, de jugement et de contrôle de la population. On a montré dans certains pays que le processus d’éligibilité aux aides sociales conduisait à un sentiment d’impuissance et à l’humiliation des personnes, en sapant leur capacité d’agir.

Les recherches du CPAN montrent une conscience aiguë de ce qu’il y a de délicat à transformer les normes sociales, par exemple la discrimination de genre. Dans certains pays, la capacité à changer les normes a été liée à l’aide sociale en tant qu’opportunité de communication (comme au Kenya avec la question du planning familial ou au Népal, pour d’autres questions de santé et d’éducation). Tout ce qui est lié à l’aide sociale sera nécessairement perçu comme une imposition verticale, ce qui peut rendre le processus inefficace ou même avoir des conséquences indésirables.

Diana Skelton (à gauche) participant à un panel sur les implications pour les politiques publiques d’une recherche sur « des voies durables pour sortir de la pauvreté »

Les travaux sur les normes sociales doivent bien prendre en compte la question du différentiel de pouvoir auquel sont confrontées les personnes qui connaissent l’extrême pauvreté. C’est une situation qui est perpétuée par la prévalence sociale de la honte et des stéréotypes. Robert Walker, d’Oxford, a montré que la pauvreté continue à être tenue pour honteuse dans des pays comme l’Ouganda, la Grande Bretagne, l’Inde, le Pakistan, la Norvège, la Corée du Sud et la Chine. Cette humiliation et ces préjugés empêchent les individus de développer force et résilience, et donc de surmonter la pauvreté. Les personnes plus défavorisées mettent l’accent sur les aspects émotionnels et relationnels essentiels de la pauvreté.

  • Faire l’expérience au quotidien de l’anxiété, de la peur, de l’humiliation, de l’exclusion et du sentiment d’infériorité dévorent petit à petit l’estime de soi.

Cette situation est aggravée par le fait qu’elles ne sont jamais appelées à collaborer à la conception, à la mise en place et à l’évaluation des programmes de lutte contre la pauvreté qui leur sont destinés.

Les études du CPAN ont aussi employé l’expression « s’évader de la pauvreté ». Ce concept d’évasion suggère que les personnes laissent derrière elles tout ce qu’elles ont connu mais les personnes qui vivent dans la pauvreté racontent souvent combien elles accordent de valeur à leur parcours et à leurs connaissances durement acquises. Quoique le projet de soutenir des sorties durables de la pauvreté soit bien sûr louable, je n’ai pas entendu les personnes pauvres utiliser le mot « évasion », qui donne l’impression de vouloir s’éloigner le plus vite possible de la catastrophe. Cette idée peut même être un obstacle pour surmonter la pauvreté. Par exemple, les enfants qui réussissent à l’école où leurs parents ont échoué ou une adolescente à qui sa formation permet de gagner plus d’argent que son père peuvent parfois sentir le besoin de rester en arrière pour ne pas trahir leurs familles en s’évadant seuls. Parce que les relations sont des facteurs essentiels dans les efforts personnels pour surmonter la pauvreté, il est important que les gens qui arrivent à améliorer leur situation essaient d’aider les autres. Une série d’évasions, ça fait très individuel mais l’humiliation et les stéréotypes auxquels sont confrontées les personnes en situation de pauvreté doivent être traités comme des problèmes sociaux d’ensemble. Les mots que les membres d’ATD Quart Monde choisissent sont souvent empruntés au combat collectif du mouvement pour les droits civiques : « Un jour, nous triompherons ».

ATD Quart Monde est pleinement engagé dans une évaluation des programmes de développement qui inclue la perspective des personnes qu’ils concernent. « Pour un développement durable qui ne laisse personne de côté. Le défi de l’après 2015 » est un rapport d’ATD Quart Monde sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement. La recherche participative à l’origine de ce rapport a impliqué plus de 2 000 personnes de 22 pays différents, dont la majorité vit dans la pauvreté ou l’extrême pauvreté. Ce rapport comprend cinq recommandations pour l’agenda de développement post-2015. Ces recommandations reflètent l’expérience des personnes qui vivent dans la pauvreté et leurs idées pour l’amélioration des programmes de développement.

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