Sans certificat de naissance, des rêves brisés

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Des certificats de naissance pour tous
À 16 ans, Ibrahima Kane Diallo, un jeune Sénégalais de Diamaguène a vu ses rêves d’un avenir meilleur voler en éclats. Bien qu’il ait terminé les 6 années d’école primaire, l’adolescent n’a pas pu s’inscrire au secondaire parce qu’il ne possède pas son certificat de naissance. « En plus, j’avais dépassé l’âge limite pour passer l’examen. Je n’avais aucune solution. Ça m’a vraiment désespéré . », dit-il. Ibrahima a dû arrêter l’école pour devenir livreur de pain dans son quartier.
Aicha Ba, quant à elle, a 12 ans et elle est élève dans le quartier de Sam Sam à Dakar. Elle évoque les seize brillants élèves de son école qui auraient pu devenir médecins, ingénieurs ou professeurs mais qui n’ont pas passé les examens finaux, car sans certificat de naissance. « Comment peut-on laisser des enfants étudier pendant des années et les empêcher ensuite de poursuivre leurs études ou de passer les examens sous prétexte qu’ils ne possèdent pas les papiers requis ? Un enfant sans papiers, c’est un enfant qu’on prive de son avenir. Ce n’est pas juste » dit-elle.
Ibrahima et Aicha sont membres du réseau Tapori. Aux côtés d’Oumou Dione, militante d’ATD Quart Monde, ils sont intervenus le 10 juin 2025 dans le cadre du premier webinaire, d’une série de trois visant à accélérer l’enregistrement des naissances pour les personnes en situation de pauvreté. Ces webinaires sont organisés en partenariat avec l’UNICEF, l’association Child Identity Protection, et l’African Child Policy Forum (ACPF – Forum africain sur les politiques de l’enfance), dans la continuité de la table ronde « Je suis né. J’existe, Ajoutez-moi à la liste » qui s’est tenue à Dakar en 2024.
Ils font suite au travail d’ATD Quart Monde sur l’identité légale. L’objectif de cette série en trois parties est d’abord d’identifier comment l’enregistrement des naissances pour les populations marginalisées s’articule aux niveaux international, régional et national. Et d’analyser la transposition (ou non) des engagements internationaux et les dispositifs régionaux en politiques nationales efficaces et stratégiques pour accélérer l’enregistrement à l’état civil.
L’enregistrement à la naissance est un droit fondamental, sans ce droit les enfants se voient privés d’autres droits essentiels. L’absence d’identité légale a un effet domino. Sans lui, les enfants ne peuvent pas accéder à l’éducation, la santé et aux services de protection sociale. Les enfants qui ne sont pas enregistrés à la naissance sont davantage exposés aux abus, à l’exploitation, au travail infantile, au mariage précoce et à l’apatridie. Sans pièce justificative d’identité, les enfants sont aussi davantage susceptibles d’être écartés du système scolaire, des campagnes de vaccination et des dispositifs essentiels de protection juridique. Les engagements pris à l’échelle internationale de n’abandonner personne concernent également l’enregistrement des naissances et l’identité légale. Pourtant, ces promesses tardent à se matérialiser en changement effectif pour les enfants les plus défavorisés.
Zoom sur le Sénégal
Bhaskar Mishra, de l’UNICEF et animateur du webinaire « Interconnexion : des engagements internationaux/régionaux aux réalités nationales/locales — Focus sur le Sénégal » a rassemblé des intervenants. Ensemble, ils ont réfléchir au coût de l’action par rapport à celui de l’inaction et pour dresser une évaluation honnête de l’écart entre les engagements internationaux/régionaux et leur mise en œuvre au niveau national.
Pour les familles vivant dans la pauvreté, la transposition des engagements internationaux en changements concrets au quotidien reste un défi. Ce webinaire a permis d’identifier des actions concrètes plus efficaces pour augmenter le taux d’enregistrement des naissances au Sénégal. Pour cela, une évaluation des stratégies existantes a été faite pour voir ce qui fonctionnent (ou non), et des pistes d’amélioration ont été définies pour parvenir à atteindre les personnes les plus marginalisées .
Suzanne Aho, membre du Comité des droits de l’enfant, a décrit le cadre juridique et réglementaire permettant au Sénégal de respecter ses obligations, en vertu de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, de garantir l’enregistrement de chaque enfant à la naissance. Aliou Ousmane Sall, Directeur Général de l’Agence Nationale de l’État Civil (ANEC) a présenté les mesures prises par le gouvernement sénégalais pour améliorer cet enregistrement à l’état civil, et notamment les actions entreprises auprès des populations les plus marginalisées. Edouard Sène, maire de Ndondol, a évoqué les bonnes pratiques adoptées par la municipalité pour garantir l’enregistrement de tous à l’état civil dans les meilleurs délais. Il a aussi insisté sur les stratégies de transformation qu’elle peut appliquer au niveau local. Yehualashet Mekonen, Directeur de l’Observatoire de l’enfance africaine, l’un des 4 programmes de l’ACPF (African Child Policy Forum), a présenté les solutions adoptées dans d’autres pays d’Afrique ainsi que les bonnes pratiques que le Sénégal pourrait adopter.
Les intervenants ont discuté des nombreux défis qui se posent à la lumière du témoignage d’Oumou Dione. Cette dernière a évoqué les énormes difficultés que rencontrent les membres de sa communauté à obtenir un simple certificat de naissance :
« Ce document, qui peut sembler anodin pour certains, c’est une course d’obstacles pour les personnes vivant dans l’extrême pauvreté. L’enregistrement à l’état civil devrait être un droit fondamental. En réalité, on nous traite comme des indésirables, comme si notre existence n’avait aucune importance. À la mairie, on nous traite souvent avec froideur et on nous humilie. Certains fonctionnaires nous ignorent, d’autres nous parlent avec mépris. Et alors que nous attendons patiemment, d’autres personnes mieux habillées ou avec de meilleures relations que nous entrent sans faire la queue, sont reçues rapidement et obtiennent tout ce qu’elles veulent. »
Elle ajoute : « Nous ne pouvons pas nous permettre de passer une journée à attendre. Quand vous vivez dans la pauvreté, chaque minute compte parce que vous devez aller trouver de quoi nourrir votre famille. Aller à la mairie signifie parfois choisir entre remplir des formalités administratives ou acheter du riz pour le dîner. Pourtant, nous sommes conscients de l’importance des documents d’état civil. Sans eux, nous n’avons pas accès à l’éducation, aux services de santé, au travail ou tout simplement à une identité officielle. Sans certificat de naissance, nous n’existons pas légalement. C’est pour cette raison que nous continuons de nous battre, malgré l’humiliation et l’épuisement. »
Mme Dione et les jeunes membres du réseau Tapori ont demandé à ce que des mesures spéciales soient mises en place pour soutenir les familles vulnérables. Ils demandent que chaque enfant puisse démarrer dans la vie muni d’un nom et d’une reconnaissance légale. S’adressant au Dr. Sall, Ibrahima a demandé à ce que la limite d’âge pour aller à l’école soit révisée, pour permettre à des personnes comme lui de continuer à étudier. « Il n’est jamais trop tard pour apprendre » a-t-il déclaré, « il faut donner sa chance à tout le monde. »
Ne manquez aucun webinaire
Si vous n’avez pas pu assister au webinaire, vous pouvez consulter l’enregistrement ici : Interconnexion : des engagements internationaux/régionaux aux réalités nationales/locales — Focus sur le Sénégal
Le deuxième webinaire de la série, « Intensification des actions au niveau régional – Focus sur l’Afrique » aura lieu le 18 septembre 2025 de 13h00 à 14h30 CEST. Inscrivez-vous ICI.
Le troisième webinaire « Construire des ponts : Intensification des actions dans d’autres régions et au niveau international » est prévu pour novembre.