« Prenons des moyens nouveaux pour associer tout le monde »

Une interview de Cassam Uteem, nouveau Président du Mouvement International ATD Quart Monde

Cassam Uteem a été le premier chef d’État à se prononcer pour la reconnaissance du 17 octobre comme Journée mondiale du refus de la misère. C’était en 1992, année de son élection à la Présidence de la République de Maurice. Depuis le 1er janvier 2015, il préside le Mouvement international ATD Quart Monde.

Qu’est-ce qui motive votre engagement aux côtés d’ATD Quart Monde depuis plus de vingt ans ?

La conviction que les pauvres font partie des experts de la lutte contre la pauvreté, bien qu’ils y soient rarement associés. Il faut prendre des moyens novateurs pour être à leur écoute, tels ces séminaires entre personnes en situation de grande pauvreté, acteurs de terrain et décideurs qui ont eu lieu ces dernières années à l’île Maurice et ailleurs à l’initiative d’ATD Quart Monde.

Sur quels chantiers travaille actuellement ATD Quart Monde au niveau international ?

Nous travaillons particulièrement sur l’évaluation des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), censés réduire la pauvreté de moitié entre 2000 et 2015. Nous souhaitons que les nouveaux Objectifs qui leur succéderont après 2015 concernent l’ensemble des populations pauvres, et non seulement la moitié comme c’était le cas avec les OMD. Il faut aussi revoir la définition du seuil de pauvreté, que les OMD ont situé à 1,25 dollar de revenu par jour. Dans les pays développés et ailleurs, des millions de personnes ont un revenu supérieur, mais sont complètement exclues de la société. Nous devons mieux identifier tous les domaines de la vie dans lesquels les pauvres sont exclus et voir comment ils peuvent y avoir leur place comme les autres. Tout cela ne se fera qu’avec eux.

Durant vos mandats comme Président de la République entre 1992 et 2002, avez-vous pu mettre en œuvre des mesures pour agir contre la pauvreté ?

J’ai d’abord essayé de montrer l’importance de l’éducation dans la lutte contre la pauvreté. Nous avons mené une étude sur plusieurs années qui a montré que lorsque nous investissions les mêmes moyens avec les familles les plus en difficulté qu’avec les familles aisées, les enfants des premières pouvaient réussir à l’école aussi bien que les autres. Cette étude a également montré que là où les parents étaient impliqués dans l’école, les enfants réussissaient mieux. J’ai aussi essayé durant mes mandats de développer une entente entre les différentes communautés qui vivent à Maurice : les Créoles, les Musulmans, les Hindous… Pour agir efficacement contre la pauvreté, il faut que les communautés vivent en harmonie. Pour qu’il y ait solidarité, il faut d’abord qu’il y ait unité.

L’éradication de la misère est-elle un objectif que l’on peut atteindre ?

On produit dans le monde plus de nourriture que ce dont la population mondiale a besoin et des médicaments qui peuvent guérir la plupart des maladies. Et pourtant, des populations entières meurent de faim et des millions d’enfants et d’adultes souffrent de graves maladies. Ce n’est pas acceptable. Rappelons-nous que lors de la crise financière de 2008, la volonté politique a permis de trouver en moins de deux semaines des milliards de dollars afin de renflouer les banques. La pauvreté est une création humaine. Des solutions humaines doivent donc pouvoir l’éliminer. Pour faire disparaître la pauvreté dans les pays développés comme dans les pays émergents, je constate aujourd’hui un manque de volonté politique.

Qu’est-ce qui pourrait susciter cette volonté politique ?

Je crois tout d’abord dans le pouvoir des Nations Unies. Elles peuvent imposer aux États de se mobiliser pour faire face à de grands problèmes. Elles l’ont fait pour le réchauffement climatique, pour les discriminations faites aux femmes dans le monde, etc. Elles peuvent faire davantage que ce qu’elles font actuellement pour résoudre le problème de la pauvreté. Je crois aussi dans l’effet d’entraînement des bonnes politiques. La doctrine néolibérale qui dit que le marché est roi et que la croissance économique entraîne un « ruissellement de richesse » jusque vers les plus pauvres est erronée. Dans la pratique, cela n’a jamais été prouvé. Il nous faut d’autres méthodes de développement : des politiques volontaristes en faveur de tous, qui prennent effectivement en compte les citoyens les plus atteints par la pauvreté. Il nous faut convaincre les dirigeants politiques de mettre en œuvre de telles politiques. Il faut aussi changer le regard que l’on porte sur les personnes en situation de pauvreté. C’est un combat de tous les jours au niveau local et national. Qu’il s’agisse des pays riches ou pauvres, la situation est la même, la pauvreté est insoutenable et il faut faire évoluer ce regard.

Article publié dans Feuille de route, janvier 2015