« Nous voulons construire une Europe plus juste et plus humaine »

Réflexions de Militants défenseurs des Droits de l’homme lors de l’Université Populaire Quart Monde Européenne

« On n’est pas traité comme des citoyens à part entière »

« Il y en certains qui naissent avec des droits et il y en a d’autres qui doivent lutter toute leur vie durant pour en avoir  » (militant de la délégation d’Irlande) [1]

Ces paroles émanent de délégués de différents pays européens réunis le 5 mars au Parlement Européen pour une Université Populaire Quart Monde [2] en dialogue avec des membres des Institutions Européennes et de la société civile. Ils ont redit que la pauvreté dont souffrent plus de 20 % des citoyens européens est une atteinte inacceptable aux droits de l’homme et au respect de la dignité humaine qui sont pourtant au cœur même du projet européen. Familles expulsées de leur logement, jeunes qui galèrent pour trouver un emploi et une formation, pères de famille condamnés au travail précaire ou sans droits, personnes privées de moyen d’existence légale : migrants, membres de la communauté rom mais aussi personnes sans domicile qui sont par ce fait même comme des étrangers dans leur propre pays, tous ces visages de l’extrême pauvreté et tant d’autres encore ont été représentés par des personnes qui vivent ces situations en Europe, exprimant avec force que leur combat n’est pas pour «  avoir des aides, mais pour avoir accès à nos droits ». (délégués d’Espagne)

JPG - 198.5 ko
Délégué d’Espagne

 

« Nous ne sommes pas venus pour demander mais pour pouvoir donner » [3]

Ces militants défenseurs des droits de l’homme, qui vivent au jour le jour l’injustice de la misère et s’engagent dans leur quartier ou leur communauté pour que la vie change, se sont préparés depuis un an à la rencontre avec des responsables des Institutions européennes : un long travail de mise en mots, de réflexions préparées lors d’Universités Populaires, d’analyse des recommandations et initiatives européennes qui a constitué un effort considérable pour beaucoup de personnes dont la voix et l’opinion sont rarement attendus ou écoutés. Telle cette mère de famille du Luxembourg, qui a osé prendre la parole dans l’immense amphithéâtre du Parlement, pour s’adresser directement à un panel de personnalités et faire des propositions pour que l’école soit construite avec l’intelligence de chaque enfant. La rencontre a permis de construire des ponts entre des personnes qui habituellement ne se rencontrent pas et qui ont pu se comprendre et réfléchir ensemble.

Créer les conditions d’un dialogue à égalité en partant de situations tellement inégales a été tout un défi. « Ils ont leurs mots à eux, on a nos mots à nous, on a cassé une barrière entre les gens des institutions et nous, et on n’est pas resté sur nos idées  ». (délégué de France) Chacun a fait l’effort de chercher à se faire comprendre et comprendre l’autre. Les représentants des Institutions ont longuement et clairement expliqué le fonctionnement de l’Europe et des lois, les militants venaient eux avec des analyses approfondies, nourries par leurs expériences de vie. « Pour une fois, il ne s’agissait pas d’écouter les plus pauvres dire seulement leur témoignage, mais d’écouter leur analyse et de réfléchir ensemble, à travers des ateliers qui utilisaient la méthode du « croisement des savoirs », ce qui a permis à chacun de s’engager sur son propre terrain ». (déléguée de France)

Les échanges lors des six ateliers (sur la démocratie, l’éducation, le droit d’exister légalement, l’emploi, la formation, la vie familiale et les droits fondamentaux) puis de la séance en plénière l’après-midi ont permis de réfléchir à des propositions en vue des prochaines élections européennes qui auront lieu en mai, afin de combattre la pauvreté en garantissant l’accès aux droits et le respect de la dignité. Quelle est la place faite au rôle des parents dans la recommandation sur la situation de pauvreté des enfants en Europe ? Comment nous les parents qui n’avons pas eu la chance d’apprendre à lire et écrire, pouvons-nous soutenir nos enfants dans leurs apprentissages ? Comment mieux former les enseignants au dialogue avec tous les parents, et leur permettre de mieux connaître la pauvreté ? Comment ne pas parler de « mesures à favoriser pour que les personnes accèdent au marché de l’emploi » car il s’agit d’un droit dont tous doivent pouvoir jouir ? Pourquoi telle recommandation doit devenir une initiative avec un caractère contraignant ?

Des propositions pour une Europe qui n’oublie personne

Les changements appelés par les délégués transcendent la question purement électorale, ils s’adressent à toute personne responsable, des institutions européennes au niveau le plus local. Les délégués dans leurs propositions veulent des changements qui permettent de construire une Europe réellement démocratique. Ils nous redisent que ce qui fait le moteur de l’Europe, ce ne sont pas des directives économiques, mais c’est de remettre l’humain au centre, avec tous ses droits. « Il faut remettre l’humain dans le travail, ne pas miser sur la spéculation, l’enrichissement et le rendement ». (délégation France) Pour cela, on a besoin de la contribution de tous, de l’intelligence de tous. « Je suis toujours à droite à gauche à bricoler, à travailler au noir. Parfois je ne suis pas payé, mais tant pis, j’ai besoin de travailler. » « Je suis demandeur d’asile. Nous pensons que l’Europe est en train de se construire sans nous. Aujourd’hui je suis là, c’est que j’ai ma place ici. Ca fait 5 ans que je me bats corps et âme juste pour avoir un papier pour avoir la dignité, parce que je trouve que c’est très important pour nous aussi les étrangers d’apporter quelque chose pour construire une Europe plus juste et plus humaine. » (délégué Belge du Centre de demandeurs d’asile de Natoye)

JPG - 267.4 ko
En plenière

Pour la première fois, des personnes qui connaissent l’exclusion ont pu réfléchir avec d’autres au niveau européen pour « penser et bâtir ensemble une Europe sans exclusion ». « C’était formidable de pouvoir parler en direct avec des députés européens et d’être écoutés » ( délégué d’Italie – Associazione 21 luglio ).

L’Université Populaire Européenne du 5 mars a montré qu’en y mettant les bonne conditions, le dialogue entre l’Union Européenne et ses citoyens qui ont la vie la plus difficile est possible et qu’il est même indispensable pour faire reculer la pauvreté en Europe, sans cela « les personnes pauvres ne sont que très rarement sollicitées et les solutions proposées se retournent souvent contre elles ». (déléguée de France)

D’ici quelques semaines sera publié un document faisant connaître ces propositions issues de la réflexion commune menée durant l’Université Populaire, pour que s’en saisissent les Députés Européens et tous ceux qui veulent s’engager pour que ces situations inhumaines au cœur de l’Europe changent.

[1] Les délégations composées de personnes ayant l’expérience de la grande pauvreté militants dans diverses associations (ATD Quart Monde, Associazione 21 luglio , Lesen und Schreiben…) et de citoyens solidaires provenaient de plusieurs pays de l’Union Européenne : Italie, Irlande, Espagne, Pologne, France, Belgique, Allemagne, Luxembourg.

[2] Les Universités Populaires Quart Monde sont des lieux de dialogue et de formation réciproque entre des adultes vivant en grande pauvreté et d’autres citoyens qui s’engagent à leurs côtés.

[3] Propos d’un demandeur d’asile durant l’atelier « exister en droit »