Nos coeurs sont tournés vers les Philippines

« Sont venus les grands vents.
les grands vents déchaînés, fous de rage,
Sommes partis en laissant leurs effluves de fauves :
Larmes, ruines et deuil 
 ».

Florette Morand [1]

Depuis quelques temps, dans l’archipel, les familles des Philippines disent : « Notre pays, nos îles vont se retrouver sous l’eau ». Typhons, tremblements de terre emportent ici les maisons, laissant des millions d’enfants et leurs parents bras ballants. Et quand l’eau se retire, laissant la boue gourmande ronger les quartiers, les caméras se détournent, les familles éprouvées restent seules devant de nouveaux défis et grandit un silence lourd d’un trop-plein de malheur.

Annoncés comme terribles, les vents de Haiyan ont laminé la terre.
Se barricader, se replier, dérisoires efforts.
Et sont partis les grands vents, ayant détruit en quelques heures
L’amour d’une vie,
Le fruit de durs labeurs
L’espoir d’un demain meilleur…

Sont partis, les grands vents
Il ne resterait plus que la désolation
Mais le cœur de l’humanité
N’a pas cessé de battre, de battre à grands coups.

S’enveloppant de courage,
Au milieu des débris encore tourbillonnants,
Des enfants, des jeunes, des femmes et des hommes
se mettent en quête de ceux qui leur manquent.

Le temps qui passe pour beaucoup emporte l’espoir de retrouvailles
ou de recueillement devant la dépouille d’un proche.
Le temps qui passe pour les survivants, c’est malgré tout un fil ténu qui dit que demain est à venir.

Partout du nord au sud du pays et au-delà des frontières,
Des enfants, des jeunes, des femmes et des hommes.
Parmi eux, ceux qui savent la violence d’une vie sans cesse ballottée par la misère,
Ont bouleversé leurs priorités pour réfléchir : comment puisse-je aider ?

Dans le chaos, comment trouver le chemin qui ramène l’essentiel et préserve la dignité des personnes qui ont tout perdu, qui sont trop bouleversées ?
Sans savoir encore comment faire pour les rejoindre dans leur souffrance et leur courage, nous avons encore en mémoire, ce dialogue récent qui a pu avoir lieu entre des personnes qui vivent dans des conditions d’extrême pauvreté à Manille et des personnalités du gouvernement philippin. C’était le 23 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère. Nous avons été très frappés lors de cette rencontre par l’énormité des défis auxquels sont confrontés les autorités et la population dans un pays composé d’îles, la plupart menacée par l’élévation du niveau de la mer et située sur la route des typhons. Dans le cadre de son plan de gestion des inondations, le gouvernement de Manille a recensé 104 000 familles vivant à moins de 3 mètres d’une voie navigable. Le président prévoit de soutenir le déplacement de toutes ces familles d’ici 2016 à des endroits où les adultes pourront gagner décemment leur vie, et subvenir aux besoins des leurs.

Plusieurs des participants ont expliqué les raisons pour lesquelles ils installaient leur habitation, dans des lieux qu’ils savent dangereux, le long du fleuve ou sous les ponts, parce que c’est dans ces zones qu’ils trouvent des activités qui leur permettent de faire vivre leurs familles. M. Jude H. Esguerra III , de la Commission nationale anti-pauvreté , a parlé de l’humilité du gouvernement face à ce défi. Il s’est référé aux familles qui ont dû être déplacées, il y a deux ans suite à un typhon : « Aujourd’hui, nous avons réalisé que même deux ans plus tard, leurs enfants n’ont toujours pas pu retourner à l’école.  » Il a décrit d’autres problèmes rencontrés par les familles que les autorités, malgré leurs planifications, n’avaient pas anticipés n’ayant pas une connaissance suffisante de ce que vivent les familles condamnées à la survie. « Nous avons besoin de tenir nos promesses envers les plus pauvres et renforcer leur voix dans le cabinet du président. Nos agences doivent être plus responsables ».

Aujourd’hui, le défi pour le peuple philippin et son gouvernement est encore plus grand mais déjà des solidarités s’expriment.
La douleur des familles frappées par le typhon, leur courage nous rappellent ce que nous avons appris des familles de la Nouvelle Orléans, aux États-Unis, qui ont été aussi meurtries par la colère de Katrina, les familles de l’agglomération de Port-au-Prince en Haïti dont les rêves et les espoirs ont été démantibulés en une moitié de minute par un tremblement de terre. Cette résistance face au malheur nous renvoie à ce que nous apprenons, dans tous les pays où nous sommes engagés, des familles qui vivent au jour le jour dans l’urgence de la survie, dans l’incertitude de chaque instant :
« Ce qui est l’essentiel, c’est de croire en la fraternité, qu’elle nous guide pour aller jusqu’à celui qui est le plus écrasé, celui qui sera perdu si nous ne le cherchons pas. Le reconnaître, malgré son dénuement comme porteur d’aspiration et de projets, détenteur d’une expérience utile aux autres, maintenant. Le reconnaître comme partenaire de ce qui va être entrepris parce que son apport est le socle, la base, pour refonder un avenir dans lequel il pourra trouver sa place, et où chacun pourra se reconnaître égal à l’autre en dignité, et vivre en harmonie.  ».

Isabelle Pypaert Perrin, Jacqueline Plaisir, Diana Skelton, Jean Toussaint _Délégation générale

[1] Les grands vents [Florette Morand (http://halleyjc.blog.lemonde.fr/2012/12/15/les-grands-vents-de-florette-morand)