Pauvreté, justice sociale et l’histoire de Mary Rabagliati

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Diana Skelton, originaire de la région de Washington D.C, États-Unis, et volontaire permanente avec ATD Quart Monde vient de terminer la rédaction du mémoire « Joyful Revolution: Poverty, Social Justice, and the Story of Mary Rabagliati » (traduction de l’éditrice : Une joyeuse révolution : Pauvreté, justice sociale et l’histoire de Mary Rabagliati), publié par Lutterworth Press en octobre.

Dans cet article, Diana nous présente le mémoire Joyful Revolution, les raisons qui l’ont poussée à l’écrire et le dévouement de Mary Rabagliati tout au long de sa vie pour la justice sociale et la lutte contre la pauvreté.

De quoi parle Joyful Revolution ? Qui était Mary Rabagliati et pourquoi avoir écrit un livre sur elle ?

En 1962, Mary Rabagliati a cofondé ATD Quart Monde avec Joseph Wresinski. Voici comment elle décrit sa première arrivée au camp d’hébergement d’urgence de Noisy-le-Grand, où Wresinski commençait tout juste à développer le mouvement de lutte contre la pauvreté qui allait devenir ATD :

À cette époque, Wresinski avait 45 ans, alors que Mary n’en avait que 20. Il était Français  et elle Britannique. Il était prêtre catholique et elle était une anglicane qui l’a convaincu de l’injustice de certaines de ses positions d’Église envers les femmes en situation de pauvreté. Malgré leurs approches très différentes, ils ont réussi à collaborer. Le livre retrace ses origines avant sa rencontre avec lui et du rôle qu’elle a eu dans l’évolution d’ATD au fil des années.

À qui s’adresse ce livre ?

Avant de rejoindre Wresinski, Mary était secrétaire. Elle raconte :

Après avoir découvert le camp de Noisy-le-Grand, elle a dit :

Je pense que ce livre est pour tous ceux qui trouvent que la vie prend plus de sens quand on a l’occasion de travailler avec d’autres pour la justice sociale. Le choix que Mary a fait à 20 ans l’a amenée à relever de nombreux défis au fil des ans, cherchant les meilleures façons de faire avancer la mission d’ATD Quart Monde. Il n’existe pas de solution miracle, mais je pense que ce livre sera utile à tous ceux qui cherchent à avoir un impact significatif et durable sur la société.

Aussi, Mary s’est particulièrement préoccupée des femmes et des adolescentes en situation de pauvreté confrontées à la violence, à la maternité précoce et aux défis constants qui pèsent sur leur droit d’élever leurs propres enfants. Son travail s’inscrit dans les débats actuels sur la pauvreté, les droits humains et l’égalité des sexes, ce qui en fait une lecture inspirante pour de nombreux militants pour la justice sociale.

Comment est-ce que la vie de Mary Rabagliati, dévouée à la justice sociale et à la lutte contre la pauvreté, peut-il encourager les jeunes d’aujourd’hui ?

Quand Mary est arrivée chez ATD Quart Monde, elle était beaucoup plus jeune que ses collègues. Puis, au cours des décennies suivantes, elle s’est toujours bien entendue avec les jeunes, allant à leur rencontre et prenant le temps d’écouter leurs préoccupations. Même si elle n’a jamais mâché ses mots et défendait ses positions tranchées contre tout dogmatisme, sa franchise et son authenticité l’ont aidée à tisser des liens avec des personnes d’horizons très différents.

Elle a été confrontée à des défis très variés dans son travail toute sa vie, et je suis inspirée par les approches qu’elle a adoptées : débordante d’énergie et d’ambition, mais aussi profondément ancrée dans le bon sens et la bienveillance.

Peux-tu nous parler un peu de toi et de ce qui t’a amené à écrire Joyful Revolution.

J’avais 20 ans quand j’ai rencontré Mary Rabagliati dans le cadre de ma formation pour devenir volontaire permanente avec ATD Quart Monde. J’ai d’abord été sa colocataire, puis sa coéquipière sur plusieurs projets. Mary est décédée d’un cancer six ans après notre première rencontre. Nos conversations ont eu un impact durable sur mes propres choix de vie. Plus tard, elle m’a manqué et je me suis souvent demandé ce qu’elle aurait accompli si elle n’était pas décédée si jeune. Ce que je ne réalisais pas, c’est qu’une grande partie de ce qu’elle a réellement accompli était caché. En 2016 lorsque j’ai visité les archives d’ATD et commencé à lire la correspondance, les interviews et les rapports de Mary, j’en suis restée stupéfaite. Je savais déjà qu’elle avait consacré beaucoup de temps et d’énergie à la correction et à la traduction des écrits de d’autres personnes ; mais j’ignorais qu’elle avait aussi pris le temps d’écrire autant elle-même. Le projet qui m’a conduit aux archives de Mary était théoriquement lié à la préparation du 60e anniversaire d’ATD. Mais en parcourant les carnets et les rapports de Mary, j’ai réalisé que j’avais exactement le même âge qu’elle à sa mort. Lui survivre m’a donné le sentiment d’avoir la responsabilité de raconter son histoire à ceux qui ne l’ont jamais connue.

Tu as travaillé sur une série de vidéos relatant la vie de Mary Rabagliati. Pourquoi est-ce que c’était important d’écrire également un livre ?

Pour les scénarios vidéo, j’ai beaucoup apprécié le talent artistique de Paul Maréchal. Il a inventé le format, combinant un scénario classique de type « Draw-my-life / dessine-moi ta vie » avec ses aquarelles originales en fond. Le dynamisme de ce projet correspondait parfaitement à l’énergie débordante de Mary. Je suis également reconnaissante à Naomi Anderson d’avoir prêté sa voix à Mary dans les vidéos, donnant vie à ses réflexions avec sa sensibilité moderne. Plusieurs d’entre vous ont offert un soutien technique précieux pour la réalisation des vidéos – merci infiniment !

Mais, même si j’adore ces vidéos, lorsque nous avons publié la vidéo finale sur Youtube deux ans plus tard, le projet semblait inachevé. Les souvenirs de Mary me tenaillaient sans cesse. Je commençais alors tout juste à découvrir qu’elle avait écrit bien plus que ce que mes recherches initiales avaient révélé. Il y avait tellement plus qu’il me semblait important de raconter.

As-tu découvert quelque chose de surprenant ou de fascinant en écrivant Joyful Revolution ?

Mary a eu des démêlés avec la justice ou l’armée sur trois continents différents ! Elle a également convaincu un prêtre catholique que les femmes pauvres méritaient d’avoir accès à la pilule contraceptive.

Mais je crois que c’est son approche aux défis plus quotidiens qui m’a le plus intriguée. Elle était toujours très franche : sur les moments où elle se reprochait de s’emporter, mais aussi sur la frustration, l’épuisement et ce qu’elle appelait « toutes nos méchancetés quotidiennes ». Elle travaillait dur pour bâtir un mouvement pour la justice sociale, mais elle savait que le travail ne se limitait pas aux grandes réunions aux Nations Unies ou aux parlementaires. Il se manifeste aussi profondément dans les difficultés quotidiennes de la pauvreté et toutes les raisons qui peuvent pousser les gens à se comporter durement.

Comment as-tu choisi le titre Joyful Revolution et quelle signification a-t-il pour toi ?

La vie de Mary était révolutionnaire, parce qu’elle avait une approche totalement nouvelle de la justice sociale. Mais elle était aussi une personne qui mettait un point d’honneur à rechercher la joie partout, en dansant aussi souvent que possible. Elle a dit un jour : « Dans la misère de la pauvreté, la joie compte encore plus […] afin que les personnes exclues de la société puissent enfin participer à tout ce qui rend le monde extraordinaire. »

Est-ce qu’il y a d’autres influences qui ont façonné Joyful Revolution, autre que Mary Rabagliat, bien sûr ?

Une partie du livre explique comment le travail de Mary, cofondatrice de ce mouvement de lutte contre la pauvreté, résonne avec mes propres expériences avec d’ATD Quart Monde. Comme Mary, j’ai vécu aux États-Unis, en France et au Royaume-Uni. Comme elle, j’ai voyagé en Afrique du Sud, au Kenya, en Israël et en Palestine. Comme Mary, je travaille sur l’impact de la pauvreté sur le droit à la vie familiale et le travail social. Et comme elle, j’ai dû relever les défis de diriger un groupe diversifié de personnes partageant un objectif commun, mais ayant souvent des opinions très divergentes sur la manière de l’atteindre. Ainsi, si ce livre est principalement une biographie centrée sur sa vie, il propose aussi plusieurs pistes de réflexion sur les défis auxquels nous sommes confrontés pour faire progresser le travail de justice sociale, ici et maintenant.

L’une de ses responsabilités à ATD Quart Monde était de publier des livres et des newsletters pour sensibiliser le grand public à l’extrême pauvreté. Pourquoi était-ce si important pour elle ?

Mary a remarqué comment la société exclue les personnes en situation de pauvreté. Dans la France des années 1960, les jeunes hébergés dans les camps d’hébergement d’urgence n’étaient pas les bienvenus dans les discothèques locales. Un jeune du Royaume-Uni des années 1980 lui a confié :

Les gens pensent que nous, les jeunes, sommes tous des voyous. La police vous demande de partir. Là où j’habite, la rue a mauvaise réputation. Quand les gens me demandent où j’habite et que je leur dis où je vis, ils ne veulent pas me connaître. Tout le monde pense que vous êtes là pour semer le trouble, alors on nous dit toujours de partir.

Mary savait combien les personnes en situation de pauvreté contribuaient à la société et elle considérait les publications comme un moyen essentiel de mieux comprendre leurs aspirations et leurs compétences méconnues. Parce que les dimensions sociales de la pauvreté isolent les gens, Mary savait que l’éducation du grand public est une étape essentielle pour vaincre la pauvreté.

Et comment pouvons-nous perpétuer son héritage ?

J’espère sincèrement que ce livre permettra de nouvelles conversations ! Mary avait tant à dire, et sa voix stimulante et dynamique peut nous inspirer pour tout le travail de justice sociale qui nous attend aujourd’hui.