Comment la série Netflix « Maid » met en lumière les expériences de la pauvreté

12 minutes

Une représentation fidèle de la pauvreté dans les médias

La culture et les médias, et donc les histoires que nous racontons, sont en constante interaction avec la société. Et à travers cette interaction, nous essayons de nous comprendre les uns les autres et de donner un sens au monde. C’est pour cette raison que les médias que nous consommons ont une grande influence sur notre perception de la réalité, une influence qui peut être néfaste si la représentation de la réalité qui nous est donnée est incomplète.

C’est le cas de la représentation que les médias nous font des personnes en situation de pauvreté depuis de nombreuses années. Dans des pays comme les États-Unis, le public a été amené à croire que les personnes en situation de pauvreté sont simplement paresseuses et que tout ce qu’elles ont à faire pour s’en sortir, c’est de trouver un emploi. Beaucoup considèrent que cela reflète la réalité de la pauvreté, car les médias ne mentionnent pas les complexités et les complications réelles de la pauvreté dans leurs discussions et leurs représentations de la pauvreté. Les médias réduisent alors la pauvreté à une question purement financière, sans saisir sa nature multidimensionnelle.

  • La culture et les médias, et donc les histoires que nous racontons, sont en constante interaction avec la société. Et à travers cette interaction, nous essayons de nous comprendre les uns les autres et de donner un sens au monde.

Les dimensions cachées de la pauvreté

Le projet de recherche participative « Les dimensions cachées de la pauvreté ». Mené par ATD en collaboration avec l’université d’Oxford, a mis en lumière la complexité de cette réalité. Ce projet a réuni des personnes en situation de pauvreté, des praticiens et des universitaires afin d’explorer les dimensions de la pauvreté qui sont souvent négligées ou mal comprises dans les travaux politiques. Grâce à la méthodologie du Croisement des savoirs, les résultats de la recherche valorisent de manière égale les participants du projet et leurs connaissances.

En plus de mettre en évidence des dimensions jusqu’alors méconnues, le projet met également en avant l’interconnexion de ces dimensions.

Au cœur de l’expérience de chaque personne en situation de pauvreté se trouvent des dimensions fondamentales : la perte d’autonomie, la souffrance physique, mentale et émotionnelle, ainsi que la lutte et la résistance. Ces dimensions témoignent des effets profonds de la pauvreté sur l’individu et que la société dans son ensemble a encore du mal à comprendre.

À ces expériences fondamentales s’ajoutent des dimensions plus externes, des dynamiques relationnelles dont les mauvais traitements institutionnels, les mauvais traitements sociaux et les contributions non reconnues, ainsi que les privations, entre autres l’absence de travail décent, les revenus insuffisants et précaires, et les privations matérielles et sociales. Ces dimensions soulignent que le poids de la pauvreté ne repose pas uniquement sur un individu mais qu’il est créé par les idées fausses de la société et l’inaction des institutions.

La recherche démontre aussi que cinq facteurs modificateurs influencent ces neuf dimensions : l’identité, le temps et la durée, le lieu, l’environnement et la politique environnementale, ainsi que les croyances culturelles. Cela souligne à quel point chaque expérience de la pauvreté est unique à la situation de l’individu.


Voir : Le Rapport – Les dimensions cachées de la pauvreté


L’exploration de ces dimensions apporte non seulement un éclairage nouveau sur la manière dont les politiques de lutte contre la pauvreté devraient être conçues, mais aussi sur la manière dont les personnes en situation de pauvreté et leurs histoires devraient être représentées dans les médias.

La série « Maid »

La série « Maid » diffusée en 2021 sur Netflix, adaptée du mémoire « Maid : Hard Work, Low Pay, and a Mother’s Will to Survive » (Employée de maison : travail difficile, salaire modeste et volonté d’une mère de survivre) de Stephanie Land, est l’une de ces histoires qui attirent l’attention sur la nature multidimensionnelle de la pauvreté. Dans son mémoire, Land raconte en détails son expérience de mère célibataire confrontée à l’itinérance, au système d’aide sociale aux États-Unis et au ménage à domicile pour joindre les deux bouts. La série Netflix est une adaptation romancée du livre, ce qui lui permet de rester ancrée dans la réalité des expériences de Stephanie Land sans pour autant s’emmêler avec sa vie.

La série suit Alex et sa fille Maddy, alors qu’elles vivent les expériences décrites par Stephanie Land dans ses mémoires. Dès le premier épisode, on comprend rapidement à quel point les programmes d’aide sociale sont complexes. Comme la plupart d’entre nous, ignorant les tenants et aboutissants de ces programmes, Alex est surprise d’apprendre qu’elle doit trouver un emploi pour prouver qu’elle a besoin d’une garderie afin de pouvoir trouver un emploi. Cela l’amène à commencer à faire des ménages pour une agence de nettoyage. Au fil de la série, on voit comment ces exigences invisibles empêchent ceux qui en ont besoin de bénéficier de ces programmes.

  • La série met en lumière les différentes facettes de la privation qu’une personne en situation de pauvreté expérimente. La complexité du travail ne se limite pas à la possibilité de trouver un emploi ou non, mais de trouver un travail qui est rémunéré de manière juste, qui offre une sécurité, est réglementé et digne.

La série met en lumière les différentes facettes de la privation qu’une personne en situation de pauvreté expérimente. La complexité du travail ne se limite pas à la possibilité de trouver un emploi ou non, mais de trouver un travail qui est rémunéré de manière juste, qui offre une sécurité, est réglementé et digne. Autrement dit, un emploi où le revenu est suffisant pour subvenir aux besoins de base et maintenir un niveau de vie décent.

Manque de travail décent

Dans une entrevue accordée en 2019 à NPR, la radio publique états-unienne, Land déclare que l’une des choses qu’elle aimerait voir changer dans le système est un meilleur accès à des emplois décents. Elle explique que les exigences professionnelles sont particulièrement immorales lorsqu’elles font obstacle à la satisfaction des besoins vitaux tels que l’alimentation.

Dans cette entrevue, Mme Land détaille les nombreuses restrictions liées à l’aide gouvernementale. Elle explique notamment que pour bénéficier des chèques alimentaires du programme WIC (Women Infants and Children), la mère ou l’enfant doit présenter une carence nutritionnelle. De plus, seulement certains aliments et certaines marques étaient couverts par les chèques WIC, ce qui rendaient l’achat de nourriture compliqué. Land explique à NPR que « ce programme n’en valait presque plus la peine, car le salaire que je perdais pour me rendre à ce rendez-vous et obtenir ces [chèques] ne valait pas tous les problèmes que ça me créait ».

Comme l’explique Mme Land, de nombreuses personnes ne touchent pas un salaire suffisant pour vivre et ont besoin de ces programmes pour leur survie et celle de leur famille. Pour Mme Land, le salaire qu’elle percevait en faisant des ménages était de 8,55 dollars de l’heure, sans compter qu’elle devait payer son propre matériel de nettoyage et l’essence pour se rendre chez ses clients. Elle n’était également autorisée à travailler que six heures par jour. Cette situation était aggravée par le « précipice social »1. Comme elle l’explique, il s’agit du seuil à partir duquel vos prestations sociales sont plafonnées ou supprimées. « Les bons alimentaires [aujourd’hui appelés SNAPS] sont assez brutaux [car] si vous dépassez la limite, vous ne recevez soudainement plus… deux ou trois cents dollars par mois d’aide ».

  • Dans une entrevue accordée en 2019 à NPR, la radio publique états-unienne, Land déclare que l’une des choses qu’elle aimerait voir changer dans le système est un meilleur accès à des emplois décents. Elle explique que les exigences professionnelles sont particulièrement immorales lorsqu’elles font obstacle à la satisfaction des besoins vitaux tels que l’alimentation.

Une des expériences de la pauvreté au premier plan

En regardant « Maid », on est happé par l’histoire d’Alex, on ressent les mêmes frustrations et le sentiment d’injustice face aux difficultés qu’elle rencontre. Cela tient en grande partie au fait que l’histoire est racontée entièrement de son point de vue. À travers des apparitions visuelles et auditives, des séquences oniriques et fantaisistes, le regard d’Alex construit notre expérience de l’histoire.

Lorsqu’elle se rend pour la première fois au bureau d’aide sociale, elle entend l’assistante sociale la traiter de « poubelle blanche ». Lorsqu’elle se rend compte que ce n’est que le fruit de son imagination, on commence à comprendre l’influence de ses propres préjugés et peurs sur elle-même. Tout au long de la série, on voit notamment apparaître à l’écran un compteur chaque fois qu’Alex perd ou gagne de l’argent, soulignant ainsi le peu qu’elle possède.

La série étant entièrement subjective et centrée sur l’expérience d’Alex, nous sommes non seulement plongés dans la vie d’une personne en situation de pauvreté, mais nous avons également accès à son état d’esprit. Cela nous aide à mieux comprendre ce que quelqu’un peut penser et ressentir lorsqu’il se trouve dans une situation aussi difficile.

  • La série étant entièrement subjective et centrée sur l’expérience d’Alex, nous sommes non seulement plongés dans la vie d’une personne en situation de pauvreté, mais nous avons également accès à son état d’esprit. Cela nous aide à mieux comprendre ce que quelqu’un peut penser et ressentir lorsqu’il se trouve dans une situation aussi difficile.

Ses écrits nous permettent également de mieux comprendre Alex. Comme Land, Alex envisageait de se lancer dans l’écriture à l’université avant de tomber enceinte de sa fille. Tout au long de la série, nous voyons comment Alex utilise l’écriture pour donner un sens au monde et à sa situation. Elle réfléchit notamment à la vie des clients pour lesquels elle fait le ménage, faisant écho aux réflexions de Land dans ses mémoires.

Dans son entrevue, Land explique à NPR comment elle a appris à connaître beaucoup de ses clients simplement « grâce aux traces qu’ils laissaient dans leur lit ».

Ces réflexions sont particulièrement importantes dans l’histoire de « Maid », car elles donnent de la profondeur au personnage d’Alex, qui n’est pas réduite à une simple statistique sur la pauvreté. Elles mettent en évidence la complexité intérieure unique de chaque personne en situation de pauvreté, ce qui nous permet de mieux comprendre et de mieux ressentir ce qu’elles vivent.

Grâce à ses écrits, Land a pu sortir de la pauvreté et enfin poursuivre ses études à l’université du Montana, ce qui conclut l’histoire d’Alex dans « Maid ». Le deuxième mémoire de Land, « Class: A Memoir of Motherhood, Hunger, and Higher Education » (La classe : Un mémoire sur la maternité, la faim et l’enseignement supérieur) , détaille ses expériences pour concilier maternité et travail, tout en essayant d’obtenir son diplôme.

Les femmes et la pauvreté

C’est dans la description de la violence domestique que la série et l’expérience de Land diffèrent le plus. Land et Alex se retrouvent toutes deux sans domicile après avoir fui des violences domestiques et manipulations mentales. Dans le cas de Land, le partenaire de Land lui a fait croire qu’elle était malade mentale en la soumettant à des violences psychologiques constantes et à une manipulation mentale. C’est lorsqu’il est devenu violent physiquement qu’elle a appelé le numéro d’aide aux victimes de violences domestiques, puis la police. Land décrit à NPR le soulagement qu’elle a ressenti lorsqu’elle a porté plainte, car c’est à ce moment-là qu’elle a enfin compris qu’elle n’était pas folle.

L’histoire d’Alex dans la série reflète davantage la réalité de nombreuses autres femmes victimes de violences domestiques, puisqu’elle finit par retourner dans une relation toxique vers la fin de la série. Land explique que cela est malheureusement typique de l’expérience de nombreuses autres femmes victimes de violences domestiques, en particulier celles qui sont financièrement dépendantes de leur partenaire, comme Alex dans la série. Cela met en évidence les difficultés supplémentaires auxquelles sont confrontées les femmes en situation de pauvreté, qui peuvent se retrouver dans des situations vulnérables, surtout lorsqu’elles ont des enfants à charge.

Cela souligne l’importance de prendre en compte les facteurs modificateurs de la pauvreté. L’oppression subie par de nombreuses femmes dans la société culmine avec la pauvreté, plaçant les femmes qui en sont victimes dans une position encore plus vulnérable. Il est particulièrement important de tenir compte de ces facteurs pour mettre en place des programmes sociaux plus humains, capables de répondre aux besoins et à la situation particulière de chaque individu.

  • L’oppression subie par de nombreuses femmes dans la société culmine avec la pauvreté, plaçant les femmes qui en sont victimes dans une position encore plus vulnérable. Il est particulièrement important de tenir compte de ces facteurs pour mettre en place des programmes sociaux plus humains, capables de répondre aux besoins et à la situation particulière de chaque individu.

Comprendre la pauvreté

« Maid » met en lumière les difficultés d’une personne confrontée à l’itinérance et à la pauvreté, mais il existe encore tant d’histoires de personnes en situation de pauvreté qui restent cachées aux yeux du grand public. Le mémoire et la série montrent à quel point le récit approfondi et direct des expériences de pauvreté vécues par des personnes peut aider le public à mieux comprendre ce que signifie la pauvreté.

  • Lorsque l’on se met à la place de quelqu’un d’autre, on ne peut s’empêcher d’éprouver une réelle compassion et une réelle empathie pour ce qu’il vit. Si davantage de personnes peuvent ressentir cela, alors un changement véritable et durable pourra enfin s’opérer.

Lorsque l’on se met à la place de quelqu’un d’autre, on ne peut s’empêcher d’éprouver une réelle compassion et une réelle empathie pour ce qu’il vit. Si davantage de personnes peuvent ressentir cela, alors un changement véritable et durable pourra enfin s’opérer.

 

 

  1. « welfare cliff », en anglais. On parle également d’« effet falaise », et fait référence à la réduction d’autres programmes d’aide, médicale, à la garde d’enfants et les aides au logement.