La journée mondiale du refus de la misère célébrée à Bangui

19 octobre 2013

Dans les circonstances difficiles que traversent les habitants de Centrafrique, célébrer le 17 octobre, journée mondiale du refus de la misère est d’une extrême importance : il s’agit de dire que malgré tout on garde confiance les uns dans les autres et qu’on veut que les plus fatigués puissent eux aussi participer à l’avenir du pays. Lors de cette journée, différents témoignages ont été lus, dont celui d’un groupe de membre du Mouvement en Centrafrique que voici :

Témoignage des membres du Mouvement ATD Quart-Monde en Centrafrique

Ce qui se passe dans notre pays, c’est quelque chose d’inoubliable dans la tête des plus faibles. Même les plus riches, ils ne peuvent oublier ça. Les conflits multiplient notre misère : nous ne pouvons pas sortir pour chercher de quoi manger.

A cause des coups de fusils, sortir c’est difficile. Comme tu n’as pas de réserve, tu es obligé de sortir chaque jour sinon le foyer tombe décadent. Mais tu n’oses pas aller aux champs. Et quand il faut fuir dans la brousse il y a des gens qui viennent par derrière pour tout casser et récupérer tous les biens.

On a même vu des familles partir en brousse et revenir avec un enfant qui était né dans les champs. Et pour ses documents ? Et pour son état-civil ? Comment faire ?

Presque tous nos enfants n’ont pas d’acte de naissance. Depuis longtemps on n’a pas les moyens d’aller accoucher à l’hôpital ou de payer le bulletin de naissance au dispensaire. Ils ne sont déclarés nulle part. On sait que sans acte de naissance, l’enfant ne peut pas assurer son avenir quand il sera grand ; mais cela coûte cher pour nous. Cela nous fait mal. Pour qu’il puisse aller à l’école, on dit un mensonge au directeur, et il prend l’enfant. Nous disons ce mensonge parce que nous voulons que nos enfants puissent aller à l’école. Mais quand les enfants passent en CM2 les mensonges ne tiennent plus. Il faut fournir l’acte de naissance, pour l’examen. On ne l’a pas. On connaît des jeunes arrivés en classe de CM1 qui sont intelligents, mais ne vont plus à l’école. On a tous de l’intelligence. Mais ce qui nous manque, c’est le savoir.

Dans ces événements, la situation des plus pauvres est aggravée, parce que eux, ils n’ont pas les moyens de faire appel à quelqu’un pour les protéger. Une famille aisée peut demander la protection au BINUCA, à la FOMAC ou d’autres sécurités internationales. Par contre, les plus démunis n’ont personne pour les secourir en cas de besoin. C’est pour cela que beaucoup sont apparus, les mains vides, sur l’aéroport de Bangui-Mpoko, pour chercher eux aussi cette protection internationale.

Dans ces moments douloureux que nous traversons, un vieillard au quartier a dit : « Ces choses ne manquent jamais dans la vie mon fils. Ce sont les riches, c’est leur manière de résoudre leurs problèmes. Nous, nous ne faisons que payer le prix. Eux ils ne se battent pas. Ils donnent les moyens et nous nous entre-tuons. C’est ça la misère. » Les gens qui ont tué la famille de leur ami, quand ils doivent ensuite habiter ensemble, quelle entente parmi eux ? Les gens qui ont vu leur voisin doigter d’autres maisons, quand ils doivent ensuite travailler ensemble, quelle entente parmi eux ?

Des enfants qui vivent dans la rue racontaient que les hommes en tenue les avaient pillés. Un autre enfant disait : « C’est pas leur faute : ils ne savaient pas que Voix du Cœur est un orphelinat. Sinon ils ne nous auraient pas pillés ». Les enfants savent pardonner.

Dans ce conflit on nous oublie. Par exemple dans des villages, il y a des organismes qui donnent des choses pour soutenir ceux qui sont dépouillés. Mais les gens chargés de distribuer ces matériels ne les donnent pas aux plus pauvres. Des gens utilisent la misère des autres pour s’enrichir, et l’aide n’arrive pas.

Pourtant nous connaissons tant d’enfants, de jeunes et de familles qui souhaitent revivre et se mobiliser :

Au troisième jour du coup d’état, des enfants d’une Bibliothèque de Rue sont allés voir l’animateur : « Tonton, est ce qu’il y aura l’activité ? ». A cause de la situation, l’animateur ne voyait pas ça possible. Mais comme les enfants avaient tellement l’envie, l’animateur ne pouvait plus refuser. Leur envie lui a donné le courage, à lui aussi. Il est allé chercher les autres animateurs, et ils sont allés chercher les livres. Sur le chemin, les hommes en tenue les ont coincés. Ils ont demandé ce qu’ils faisaient avec des livres. Les animateurs ont répondu : «  On est de ATD Quart Monde. Ce n’est pas l’école, mais on enseigne les enfants ». Et le rebelle était d’accord et il disait : « Si la misère tu ne la combats pas, tu vas vraiment pauvrir ». Et après, les autres jours, les hommes en tenue ont dit : « C’est bien ce que vous faites  ». C’est le courage des enfants qui a poussé ces jeunes.

Dans la localité de PK 45 il y a des petits groupes de femmes dans les églises ; dans chaque quartier, une femme devait prendre la responsabilité. Mais elles ne pouvaient pas lire et écrire. Une maman s’est dit que le père Joseph a demandé de partager le savoir. Elle les a invitées les lundis, mercredi, et vendredi, pour commencer à apprendre ensemble. Elle a dit : « Moi non plus je ne sais pas grand chose, mais on va partager ensemble. Prenons notre ardoise et notre craie ». Elles ont eu le courage de venir à l’école.

Nous les parents, tous ces événements nous dépassent. Il faut réfléchir. Comment faire ensemble pour aider nos enfants, pour quelque chose de bien pour demain ? Il faut que la société sache. Il faut qu’on se rassemble, qu’on réfléchisse, qu’on s’unisse, que chacun là où il est partage son savoir et son pouvoir, et ensemble lutter contre la misère.