Socles de protection sociale : outil pour combattre la pauvreté

Le 2 février 2018 ATD Quart Monde a organisé un side-event (événement parallèle) à la 56ème Session de la Commission de Développement Social organisée par les Nations Unies, en partenariat avec la Coalition Mondiale pour les Socles de Protection Sociale, Pain pour le Monde, la Confédération syndicale internationale et le Comité des ONG pour le Développement Social.

Rapport sur l’événement intitulé « Les socles de protection sociale en tant qu’outil clé pour l’éradication de la pauvreté : bonnes pratiques et stratégies pour l’avenir »

Officiellement reconnus dans l’Agenda 2030 pour le Développement durable des Nations Unies, sous l’Objectif de Développement Durable n°1.3, les systèmes de protection sociales basés sur les droits humains, dont les minimas, constitue une stratégie de premier plan pour éradiquer la pauvreté, réduire les inégalités, et combattre l’exclusion sociale. Les socles de protection sociale sont un ensemble de garanties élémentaires de sécurité sociale définies au niveau national, prenant la forme de divers transferts sociaux ainsi qu’un accès universel aux services essentiels tel que l’accès à des soins de santé. Lorsqu’ils sont fonctionnels et bien adaptés aux besoins des personnes les plus dans le besoin, les socles de protection sociale peuvent aider à briser le cercle vicieux de la pauvreté intergénérationnelle.

Cet événement parallèle a rassemblé différentes perspectives provenant d’une variété d’acteurs du développement, incluant des organisations de la société civile, tels que les Organisations non gouvernementales, les syndicats, les États membres et les organisations internationales. Les intervenants ont également discuté avec le public du besoin d’étendre la couverture sociale à tous – y compris ceux le plus dans le besoin – grâce à une approche basée sur les droits, qui intègre des stratégies à développer dans le futur en synergie avec les standards internationaux et nationaux existants.

MODÉRATEUR :

Peter Bakvis, Directeur de la Confédération syndicale internationale, ITUC/Syndicats Globaux, Bureau de Washington

INTERVENANTS :

Régis De Muylder, Coordinateur de projet, Mouvement international ATD Quart Monde à Haïti

Isabel Ortiz, Directrice du Département de protection sociale, Organisation internationale du travail

Hanta Fida Cyrille Klein, Conseillère auprès de la Mission permanente de Madagascar aux Nations Unies

Héctor Cárdenas, Ministre du Secrétariat de l’Action Sociale (Ministère des Affaires Sociales), Gouvernement du Paraguay

Le modérateur a ouvert la rencontre en rappelant que la Coalition Mondiale pour les Socles de Protection Sociale a été créée en 2012 avec un cadre et des systèmes permettant aux États de mettre en œuvre  des protections sociales basées sur les droits humains. Les groupes de travail de la Coalition se concentrent sur quatre problèmes principaux :

  1. sonder les plateformes nationales et régionales visant à soutenir la mise en œuvre des socles de protection sociale,
  2. examiner les options de financement des socles de protection sociale,
  3. surveiller la mise en œuvre des socles de protection sociale,
  4. promouvoir un instrument international et une résolution de l’ONU sur les socles de protection sociale.

En tant qu’organisation membre de la coalition, la Confédération syndicale internationale (CSI) encourage la participation d’ONG dans des dialogues nationaux pour la mise en œuvre et la promotion de socles de protection sociale à l’international.

En quoi les socles de protection sociale peuvent-ils servir à éradiquer la pauvreté?

Régis de Muylder, médecin et volontaire permanent d’ATD Quart Monde, a partagé comment son équipe en partenariat avec une ONG haïtienne, Service Œcuménique d’Entraide (SOE), ont développé une approche holistique afin d’éradiquer la pauvreté en garantissant l’accès à une couverture médicale de base pour les familles les plus vulnérables via un système de micro-assurance. Le projet privilégie la participation des familles les plus pauvres grâce à une approche inclusive qui prévoit un engagement sur le long terme et ainsi développer une compréhension et un savoir sur la communauté ; un projet ‘par le bas’ qui met en avant l’éducation, le bien-être des jeunes enfants, la promotion de la santé et le recrutement et la formation d’employés de santé communautaires issus de la communauté elle-même. Pour un coût de seulement $11.50 par personne chaque année, 918 familles ont reçu une couverture santé en 2016.

Une évaluation de ce projet a démontré que ce système de couverture santé a virtuellement éliminé l’appauvrissement causé par les dépenses de santé et le besoin des individus de renoncer à des soins essentiels pour raisons économiques. Cela a globalement amélioré les bilans de santé des familles couvertes, en comparaison avec la population générale de la zone métropolitaine.

Les connaissances du Dr. Muylder, basées sur son expérience de docteur, de praticien et de volontaires d’ATD Quart Monde, a permis de montrer comment rejoindre les plus démunis par une approche mettant les personnes au centre des préoccupations. Ses suggestions visant de meilleures pratiques et stratégies pour aller de l’avant, entendent favoriser la couverture santé universelle, accroître la contribution de l’État aux dépenses de santé et encourager une approche multidimensionnelle visant à renforcer les capacités de la communauté.

Isabel Ortiz, en tant que Directrice du département de protection sociale de l’OIT, a présenté une vue d’ensemble des socles de protection sociale et a parlé des obstacles financiers à leur mise en œuvre. Le socle de protection sociale est défini comme une série de garanties universelles pour tous les citoyens, à travers toute leur vie, incluant un soutien pour les personnes en situation de handicap et les retraités. Ce sont des droits universels pour tous, y compris ceux vivant dans la pauvreté. Bien que le mandat de l’OIT sur les socles de protection sociale ait été approuvé, les écarts de couverture restent importants.

Seule 45% de la population a accès au minimum d’une seule protection sociale garantie.

L’OIT a créé une série d’outils, incluant le calculateur SPF, afin de démontrer l’espace fiscal disponible, même dans les pays les plus défavorisés, pour le développement des socles de protection sociale. Financer des protections sociales minimales ne coûterait qu’entre 1 et 9% du PIB. L’OIT encourage tout le monde à contribuer à l’ouverture de dialogues à l’échelle nationale sur ce sujet.

Hanta Fida Cyrille Klein a mis en avant la nécessité d’une approche des protections sociales basée sur les droits humains, incluant des minimas afin de couvrir les besoins des plus pauvres. Madagascar met en œuvre des socles de protection sociale minimales afin d’éradiquer la pauvreté, particulièrement dans ses zones les plus rurales. Le gouvernement a fait de l’extension des protections sociales une priorité à travers son ministère et son bureau national pour la protection sociale, qui ont récemment adopté une loi relative à son plan en faveur des personnes âgées.

Les objectifs globaux du gouvernement sont de réduire de 50% le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté et de fournir au moins à la moitié de la population la plus vulnérable  une protection sociale minimale efficace d’ici à 2030. Ses quatre principales stratégies sont donc : augmenter le revenu minimum des populations les plus pauvres ; améliorer l’accès aux services sociaux élémentaires, tels que la couverture santé ; promouvoir et protéger les droits humains fondamentaux des plus vulnérables ; et assurer la mise en œuvre progressive de leur plan retraite de non-contribution  pour les personnes âgées.

Madagascar a défendu l’adoption d’une résolution à l’ONU sur les Socles de protection sociale pour réaffirmer l’importance de la sécurité sociale en tant que droit humain.

Héctor Cárdenas s’est exprimé plus spécifiquement sur les façons dont le Paraguay a fait de l’inclusion des populations indigènes une priorité dans différents programmes sociaux.

Un de leurs programmes sociaux le plus emblématique et qui a gagné une couverture médiatique nationale, est le Programme de transfert de fonds, appelé « Tekopora ». L’objectif de ce programme est d’améliorer la qualité de vie des populations indigènes en mettant en avant leurs droits à l’accès à la nourriture, la santé et l’éducation. Cet objectif est accompli en augmentant l’utilisation des services de base et en renforçant les liens sociaux afin de briser la transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Ce programme a fait d’énormes progrès en soutenant des familles issues de communautés indigènes, faisant ainsi passer leur couverture de 3% en 2013 à 95% fin 2017. Le but est d’atteindre 100% de la population cette année. Grâce à cette inclusion, il y a un recul du déracinement familial et une amélioration de la sécurité alimentaire et de la rétention scolaire. La reconnaissance et la mise en œuvre du droit à une consultation préalable, gratuite et informée et de la reconnaissance des droits des communautés indigènes est essentiel à leur inclusion spécifique dans le programme de protections sociale.

Discussion avec le public :

Suite à ces interventions, les discussions entre les intervenants et les participants se sont concentrées sur le lancement, financement et l’extension des programmes de protection sociale.

  • Lancement d’un programme de protections sociales. Il a été demandé comment de tels programmes peuvent-ils être lancés avec des ressources et des données insuffisantes. Dr. Regis de Muylder a expliqué que très peu de données étaient disponibles lorsqu’il a commencé son programme de couverture santé à Haïti. Toutefois, grâce à son engagement ferme à travailler directement avec la communauté, il est parvenu à développer une compréhension des besoins de santé de ces personnes grâce au dialogue et à une présence permanente au sein de la communauté.
  • Répliquer les programmes de protections sociales à l’échelle d’un pays. Il a été convenu qu’étendre un programme de cette façon est impossible sans volonté politique et la collaboration d’institutions publiques, ainsi que des partenariats avec des organisations locales.
  • Financer et assurer la durabilité des programmes de protection sociale : les organisations du secteur public doivent s’engager à financer des minimas qui ciblent les plus vulnérables. La collaboration et la créativité sont nécessaires au développement d’espaces fiscaux pour la protection sociale.

En conclusion, et comme il l’a été souligné par le représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme, il est crucial de reconnaître l’interdépendance du droit à la protection sociale avec les autres droits économiques, sociaux et culturels si l’on veut éradiquer la pauvreté d’ici 2030. Comme l’a montré cet événement parallèle, le droit à la protection sociale est lié au droit à la santé, l’éducation, à un travail décent, au logement, à l’eau et à l’assainissement mais aussi au droit de participation et de consultation. La même interdépendance est au cœur de l’Agenda 2030. Seule une approche holistique et inclusive, basée sur l’indivisibilité des droits humains, permettra à la communauté internationale d’atteindre les Objectifs de l’Agenda 2030 pour le Développement durable.