Le rapport Wresinski, un événement fondateur

En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Daniel Fayard (France).

Inspiré par la vie de personnes très pauvres, le rapport Wresinski au Conseil économique et social, en 1987, a permis de mieux comprendre l’enchaînement des précarités, dont le cumul durable génère la grande pauvreté. Il a défini pour la première fois la misère comme une atteinte aux droits humains. Sur cette base, les actions déjà entreprises pour lutter contre la pauvreté ont pu être réévaluées et de nouvelles initiatives politiques ont pu être lancées, dans le but d’enrayer les phénomènes d’exclusion sociale.

Une démarche novatrice1

En février 1987, le Conseil économique et social (CES), troisième Assemblée française, fait des recommandations au gouvernement sur la base du rapport « Grande pauvreté et précarité économique et sociale », rédigé sous la direction de Joseph Wresinski, membre du Conseil et fondateur d’ATD Quart Monde.

S’appuyant sur des exemples précis et sur l’histoire de plusieurs familles, ce rapport prend en compte l’expérience vécue, le savoir et les aspirations de personnes en situation de grande pauvreté. Pour la première fois, celles-ci ont été associées à une réflexion institutionnelle qui les concerne particulièrement.

Jalons pour une stratégie plus ambitieuse

Fruit de cette démarche originale, le rapport développe une vision nouvelle du combat contre l’extrême pauvreté. La misère est une violation des droits humains, menaçant la dignité de chacun et sa capacité à être membre de sa communauté.

Lorsque des personnes très pauvres évoquent leur situation, il apparaît clairement qu’elles sont soumises à un enchaînement de précarités, se renforçant mutuellement, de plus en plus difficiles à surmonter.

Décrit pour la première fois avec netteté, ce processus met en évidence les principes d’indivisibilité et d’interdépendance des droits humains. Dès lors, une stratégie globale, élaborée, mise en œuvre et évaluée en partenariat avec les plus pauvres, se révèle incontournable, pour mettre fin aux violations des droits.

Des prolongements sociopolitiques

Diffusé à un grand nombre d’exemplaires et traduit exceptionnellement en plusieurs langues, ce rapport est très vite devenu une référence en matière de lutte contre la misère et l’exclusion, tant pour les militants associatifs que pour les responsables politiques. L’aspect novateur de sa démarche de connaissance (partir des plus démunis), la pertinence de sa définition de la grande pauvreté, la mise en évidence des responsabilités politiques, la justesse de ses vues et la force de ses propositions ont soulevé un important écho, relayé par des journalistes, des hauts fonctionnaires ou des sociologues, en France bien sûr, mais aussi dans d’autres pays, comme les États-Unis, le Japon, les Pays-Bas. Des rapports analogues ont été entrepris, aussi bien à une échelle nationale comme en Belgique, mais aussi à des échelons régionaux comme au Québec, en Ile de France ou en Rhône-Alpes.

Plusieurs instances internationales, dont notamment la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, ont repris à leur compte la définition proposée par le CES et reconnu à leur tour que la misère est une violation des droits humains.

En France, il a contribué à des avancées législatives avec l’instauration du Revenu Minimum d’Insertion (RMI), du Crédit-Formation, de la Couverture Médicale Universelle (CMU), du droit au logement opposable, du droit des associations à se porter partie civile devant les tribunaux lorsque des mesures discriminatoires sont prises à l’encontre des personnes en grande pauvreté. Il est devenu un outil de formation dans quelques écoles de service social, pour certaines associations et, bien entendu, au sein des universités populaires Quart Monde. Pour la première fois peut-être depuis le projet de Quatrième Ordre lors de la Révolution française, des populations qui officiellement n’ont pas encore droit à la parole et ne sont pas représentées comme telles disposent d’un document qui exprime leur volonté politique.

Par la suite, dans le prolongement de ce premier pas franchi en 1987, une « Évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté » (rapport au CES, de Geneviève de Gaulle Anthonioz, en 1995), s’appuyant sur des enquêtes menées auprès de personnes très démunies et d’acteurs sociaux engagés auprès d’elles, a servi de socle pour la préparation de la future loi d’orientation contre les exclusions, qui sera votée en 1998 et dont la nécessité avait été exposée dès le rapport Wresinski.

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  1. Actualisation d’un chapitre du petit livre (63 pages) « Combattre l’exclusion » de Damien-Guillaume Audollent et Daniel Fayard, Les Essentiels Milan, septembre 1999