« Une longue, longue attente »

Le 5 juin 2018, le Centre International du Mouvement ATD Quart Monde à Méry-sur-Oise a accueilli une soirée autour du livre Une longue, longue attente, paru en 2018 aux Éditions Quart Monde. Une lecture-dialogue en présence de l’auteure, Nelly Schenker (militante Quart Monde), d’un piano, d’un violon et d’une flûte.

Née en Suisse, à Fribourg dans une famille en grande pauvreté, enfant illégitime, Nelly Schenker vit reléguée dans une cave. À 7 ans, alors que sa mère est toujours en vie, elle est placée dans un orphelinat. On avait promis à la petite fille qu’elle irait à l’école, mais Nelly sera transférée de foyers d’enfants en établissements psychiatriques.

Suite à la rencontre de volontaires d’ATD Quart Monde, elle s’engagera aux côtés de personnes qui, comme elle, ont l’expérience d’une vie difficile. Elle découvrira la peinture, l’écriture et se battra pour la liberté de tous, convaincue qu’il est possible de refuser la fatalité de la misère avec des femmes et des hommes de tous horizons prêts à y engager le meilleur d’eux-mêmes.

Ce livre raconte le combat de sa vie

Noldi Christen, co-auteur du livre, explique au public présent à la soirée que Nelly a inventé une forme pour présenter le livre : trois temps d’une dizaine de minutes de lecture à deux et entre ces temps une pièce de musique pour laisser décanter les paroles et favoriser un échange.

  • « Pendant l’écriture de ce livre à deux elle s’est construit un instrument de dialogue, instrument et bateau à la fois, pour aller à la rencontre et vers un échange profond de tous ceux et celles qui avant semblaient si loin de son univers ou qui même se positionnaient comme danger ou en ennemi de la vie. Comme cet homme qui écrivait dans le dossier psychiatrique, quand Nelly était jeune : « Elle est comme un bateau sans gouvernail, perdu, qui se laisse emporter par les vagues ». Image à l’opposé absolu du bateau que vous avez su construire dans les abîmes de solitude et de souffrance ; bateau dans lequel vous nous embarquez ce soir, merci Nelly. »

Nelly confie aux personnes présentes quelques unes de ses réflexions

Le pardon : « Cela fait longtemps que j’ai pardonné parce que ça ne sert à rien que je ne pardonne pas, parce que la plupart ils ne savaient même pas le mal qu’ils faisaient ». Suite à l’intervention d’une autre personne, Nelly ajoute : « C’est bien si on peut parler aussi de sa propre misère ». Cette phrase résonne avec ce témoignage que Nelly, alors qu’elle était elle-même encore en proie à des difficultés, s’est énormément investie pour soutenir d’autres personnes en difficulté qu’elle a rencontrées dans son engagement à ATD Quart Monde.

Fuir : prise en charge dans des établissements psychiatrique où elle se sent prisonnière et empêchée de vivre ses aspirations, Nelly a réussi à fuir : toujours fuir, toujours être rattrapée, voilà ce qu’à vécu Nelly. Après la musique et un peu de silence, une personne réagit : « Ces fuites que vous racontez dans le livre, c’est extraordinaire, on continue à lire le livre parce qu’il y a les fuites, parce que c’est quand même très dur de lire tout ce que vous avez subi. Cet acharnement à vouloir rester libre c’est comme si cela vous avait construite. »

Nelly : « Je trouve seulement dommage que j’ai pas pu rester plus longtemps hors de l’hôpital psychiatrique puisqu’à chaque fois il fallait y retourner et chaque fois c’était toujours le même scénario : les piqûres, la police et les empreintes digitales comme si j’avais fait je ne sais pas quoi. Le plus longtemps que j’ai pu me cacher c’était six mois, et je trouve encore aujourd’hui dommage qu’ils ne m’aient pas laissée là où j’avais réussi à arriver, pourtant j’avais du travail, j’étais nourrie, logée…c’est tout ce qu’il me fallait…Les autorités ne m’ont pas permis de prendre ma vie en main comme j’aurais aimé…et maintenant quand je relis mes dossiers c’était au point que j’aurais dû rester toute ma vie enfermée ! Heureusement que j’ai fait ces fuites et à travers elles j’ai trouvé ma liberté, autrement j’aurais été encore enfermée aujourd’hui ».

Une autre personne lui demande : « Où trouviez-vous la force, que cherchiez-vous ? »

  • « J’avais déjà 25 ans quand j’étais encore enfermée. Tout ce que je cherchais c’était un travail, me loger et me nourrir…mais surtout d’être libre ! Pour moi c’était très important de ne pas être à la rue…A chaque fois que je fuyais je me disais : il ne faut surtout pas que je reste à la rue…

Quand la loi oblige à avoir un tuteur, quelqu’un qui gère sa vie, on n’est pas libre, ne peut pas faire ce qu’on veut.

  • On m’a punie d’école, on m’a punie de mon enfance, on m’a punie de mon adolescence, on m’a tout pris, alors j’ai aussi le droit de prendre, je pense, un peu de liberté

entre deux. Finalement j’ai gagné officiellement ma liberté quand ma future belle-mère a signé les papiers disant qu’elle me prenait en charge sans vouloir l’argent de la tutelle de l’État ; heureusement qu’elle a signé ces papiers, c’était ma liberté, sinon j’aurais dû retourner à l’hôpital psychiatrique et y rester. »

Pour Nelly ce n’est pas seulement fuir mais surtout poursuivre un objectif : « Être une personne à part entière ». Dans le public quelqu’un évoque un livre sur Joséphine Bakhita, une femme qui a été esclave : « C’est le même souffle, la même puissance de vie. »

Enfin une participante conclut : « Nelly tu es mon oiseau de liberté…cette liberté que nous cherchons tous…J’espère qu’avec l’écriture de ce livre tu arrives à te dire que tu as trouvé la liberté. »

Au cours de son engagement avec ATD Quart Monde, Nelly a participé à la création de la Fondation Joseph Wresinski et elle a brodé une tapisserie sur la vie de Joseph Wresinski.
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Dans la conclusion de son livre Nelly écrit : « Laissez-moi encore le plaisir d’être quelqu’un. »

Pour lire la 1001 Histoire autour du placement d’enfant pour cause de pauvreté cliquez ici.