« D’habitude, on ne nous voit jamais » : le mouvement des Indignés aux USA

Dans différentes villes d’Amérique du nord (mais aussi d’Espagne, de Grèce, de Grande-Bretagne, du Portugal…), des mouvements d’Indignés se sont développés en 2011. Ils protestent pacifiquement et sur la voie publique contre les inégalités et les injustices économiques. Ils sont en train de changer le regard des Américains sur la pauvreté.

À Philadelphie, Boston, Los Angelès, La Nouvelle-Orléans, Seattle, Washington, Oakland et ailleurs, plusieurs campements d’Indignés sont nés dans le sillon du mouvement « Occupons Wall Street » à New York. « Grâce aux Indignés, nous parlons enfin des injustices économiques dans les médias et avec nos responsables politiques », témoigne Peggy Simmons, alliée d’ATD Quart Monde qui vit à Oakland, en Californie. « Les inégalités économiques que les manifestants dénoncent sont une vraie préoccupation pour les Américains, confirme Michelle Williams, membre d’ATD Quart Monde à Washington. De plus en plus de gens réalisent que le « Rêve américain » et l’égalité des chances sont davantage un mythe qu’une réalité pour beaucoup de monde. Mais les Américains ont encore du mal à comprendre que quelqu’un qui est né, a grandi et vit dans la pauvreté doit être écouté et soutenu. Il est plus facile pour nous de voir l’injustice dans la situation de quelqu’un qui possédait une maison ou un travail et l’a perdu. »

« Des personnes très pauvres font partie des contestataires et participent à la conduite du mouvement des Indignés à La Nouvelle-Orléans », dit Alison McCrary, avocate. Avec d’autres avocats, elle a obtenu de la justice fédérale que les manifestants puissent réoccuper quelques jours Duncan Plaza, après que le maire a ordonné à la police d’expulser les manifestants du site.

Peggy Simmons n’a pas campé avec les Indignés, mais elle a participé à la bibliothèque du camp, ainsi qu’aux manifestations et aux Assemblées Générales (AG). Elle raconte : « Plein de personnes très démunies ont rejoint le campement des Indignés à Oakland. Une grande réussite de ce mouvement est qu’il a permis de rassembler des gens qui font un vrai travail de terrain sur la pauvreté, la violence, le racisme, l’injustice sociale et économique, etc. Ce sont de modestes actions de quartiers. C’est à travers elles que les plus pauvres sont le mieux représentés dans ce mouvement des Indignés. Ils ont été accueillis dans le campement comme ils ne l’ont jamais été ailleurs. C’est en partie pour cela que ces campements sont nés : aider ceux qui avaient besoin d’aide. »
Peggy explique que « les assemblées générales sont un moyen impressionnant de parvenir à dialoguer et à prendre des décisions avec des personnes très différentes. La nuit qui a suivi la première descente de police dans le campement – la police a été violente et il y a eu plusieurs blessés –, il y a eu 3000 personnes à l’AG et chacun pouvait vraiment se sentir partie prenante du mouvement. Ceci dit, les AG reposent beaucoup sur le dialogue oral. Un des plus importants enseignements que j’ai reçus du Mouvement ATD Quart Monde est qu’il faut aussi utiliser d’autres moyens que les mots et le langage afin de permettre à tout le monde de participer réellement. Il y a eu des discussions très ardues chez les Indignés d’Oakland sur des sujets très difficiles, comme par exemple jusqu’où une action doit rester non-violente. L’apport des plus pauvres serait très fructueux dans cette discussion. J’ai rêvé de mettre en oeuvre des journées d’ateliers de création sur ce sujet, avec l’art et la musique, pour aboutir à un théâtre de l’Opprimé… C’est ce genre de dialogue qui, de mon point de vue, permet d’inclure tout le monde. »

Myriam Verzat, étudiante et alliée d’ATD Quart Monde, participe au mouvement des Indignés à Montréal. « Nous avons construit un lieu qui n’a jamais existé avant », explique-t-elle. « Ici, se côtoient des travailleurs, des étudiants, des sans-abris, des idéalistes, des artistes, des écrivains, des journalistes, des politiciens, des retraités, des enfants… Nous avons mis en place au square Victoria une démocratie participative à travers l’assemblée générale, mais aussi une cuisine commune, des ateliers sur la non violence, une chorale de rue, des rencontres sur le capitalisme, des lectures publiques, de la poésie, des projections de documentaires… Nous avons cherché ensemble une autre manière de s’exprimer, de communiquer et de prendre des décisions. Nous avons parfois buté, nous n’avons pas toujours été d’accord. Et c’est normal, car nous restons un groupe d’humains hétéroclite où la communication n’est pas toujours évidente. Mais nous avons réussi à trouver des moyens de s’écouter et se comprendre pour surmonter ces épreuves. » En octobre, le maire de Montréal a permis aux manifestants de camper dans le square Victoria. Fin novembre, il leur a demandé de quitter le campement pour des raisons de sécurité et de violence. « Or ces problèmes sont préexistants au mouvement Occupy, explique Myriam. Ils sont seulement plus visibles, car regroupés au même endroit et continuellement sous les projecteurs. Si la ville nous en donnait les moyens, nous pourrions faire de ce lieu un espace sécuritaire pour tous. Nous souhaitons simplement continuer à faire vivre ce lieu et en faire un lieu d’éducation populaire, de partage de solutions, où tous trouveraient leur place, y compris les plus démunis. »

 

Le titre « « D’habitude, on ne nous voit jamais » » est extrait de la Lettre ouverte des chauffeurs poids lourds des ports d’Amérique au mouvement des Indignés, 12 décembre 2011,