L’ambiance est différente et cela se sent

En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Karen Stornelli (USA).

Vu de loin, Gallup, au Nouveau-Mexique, a l’air d’être au bout du monde, juste un point dans le vaste désert du sud-ouest des États-Unis. De ces endroits qu’on ne fait jamais que survoler. Mais vu depuis le sol, c’est en réalité un centre économique où se rassemblent pour échanger des personnes de cultures différentes, venus d’une vaste zone géographique. En son cœur, il y a le Marché aux Puces de Gallup, l’endroit où ATD Quart Monde tient chaque semaine son Jardin aux Histoires.

Face à des obstacles géographiques, historiques et systémiques de taille, tenter de faire changer la région de façon significative est un vrai défi, un défi qu’ATD Nouveau-Mexique affronte avec une caravane décorée de vagues, de poissons et de créatures marines. Peinte par des enfants et des volontaires, elle est un lieu de rassemblement pour que la communauté puisse se réunir autour de livres, pour apprendre et créer.

Chaque samedi, vers dix heures du matin, l’équipe du Jardin aux Histoires installe ses bibliothèques colorées, ses banderoles et ses nappes, avec l’aide des quelques enfants qui attendent notre arrivée. Ensuite, ce sont les jouets et les jeux pour l’apprentissage, installés sur une grande table pour enfant, avec des jouets pour jeunes enfants sur une petite table à pique-nique. Des livres richement illustrés sont exposés à côté des tapis de sol bariolés où les enfants et leurs familles s’assoient pour lire. L’écran tactile est assez grand pour être utilisé par deux ou trois enfants à la fois. À l’intérieur de la caravane, des enfants dessinent, jouent, bavardent avec des amis. À la table des arts, des enfants découvrent et enrichissent d’encore un peu plus de créativité l’activité artistique de la journée.
L’endroit est souvent comble, grâce aux enfants et aux familles, avant même qu’on ait fini de s’installer ! Beaucoup des enfants sont au marché avec leur famille pour y vendre des marchandises. Ils font des allées et venues entre l’étal de leur famille et l’espace du Jardin aux Histoires. Les parents et les grands-parents y font une halte pour être avec leurs enfants quand les clients sont moins nombreux. D’autres familles viennent pour faire leur marché et font une pause au Jardin des Histoires pour quelques minutes ou quelques heures. Autour de quatre heures de l’après-midi, les vendeurs commencent à remballer leurs affaires pour le voyage de retour, parfois très long, et ceux qui aident au Jardin des Histoires leur emboitent le pas.

Mais est-ce qu’un endroit comme celui-ci peut vraiment changer quelque chose pour les gens ?

Avant le lancement du Jardin aux Histoires en 2012, le gérant du marché aux puces de Gallup a averti les volontaires d’ATD que « les choses ne changent pas ici, les gens n’aiment pas la nouveauté, ils ont leurs habitudes ». Et donc, cinq ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? Certains changements relèvent du concret, comme les adultes d’une famille qui voient leurs enfants mieux réussir à l’école, développer des amitiés plus fortes et de meilleures relations familiales, résoudre les problèmes de manière créative et s’impliquer plus dans leur propre apprentissage.
« Ma fille était dans une classe spécialisée l’année dernière. Plus maintenant. C’est parce qu’elle s’améliore avec vous », nous a récemment confié une mère.
« La créativité de ma fille a commencé à s’exprimer quand elle est arrivée au Jardin aux Histoires. Maintenant, elle s’essaie à tous les arts. Elle montre à sa maîtresse et elle lui raconte ce qu’elle fait au Jardin aux Histoires », nous a dit un autre parent.
Un père a expliqué que : « le Jardin aux Histoires fait ressortir la bonté de mon fils. Maintenant, il est gentil avec tout le monde et il aide tout le monde ».
Une mère a partagé : « ma fille avait une meilleure attitude désormais, surtout à l’école. La maîtresse m’a demandé ce que nous faisions de différent. Je lui ai dit qu’on ne faisait rien de différent [à la maison]. Je lui ai dit que je pensais que c’était à cause du week-end, quand elle est avec vous. »

Ainsi le Jardin aux Histoires a produit des changements positifs chez les enfants. Qu’en est-il des familles ? Une grand-mère a expliqué l’impact du Jardin aux Histoires sur la manière dont elle élève ses petits-enfants :
« Depuis qu’on vient au Jardin aux Histoires, ils passent moins de temps devant la télé. Ils lisent et ils font des activités artistiques. En tant que grand-parent, je suis généralement à la cuisine à faire quelque chose. J’en suis au point où je fais attention aussi. J’éteins le four, le dîner peut bien attendre, et puis je vais les aider. Du coup, j’apprends à mesure que je vois ce que vous faites. »

Grâce au Jardin aux Histoires, certains participants ont découvert qu’ils se voyaient et voyaient les autres différemment. L’une des personnes qui nous aide, de l’Université du Nouveau Mexique-Campus du Nord, du centre d’enseignement pour les adultes, l’a exprimé en ces termes :
« Je n’avais vraiment pas assez confiance en moi pour faire ce que j’ai fait ici : lire en face des enfants. Je ne lis pas très bien. C’était quelque chose qui me faisait vraiment peur. Mais quand je l’ai fait, je me suis vraiment sentie bien. »

Elle a expliqué que sa fille était surprise que sa mère soit capable d’aider au Jardin aux Histoires et combien elle avait été fière que sa fille puisse la voir comme cela. Elle a continué en disant que « le Jardin aux Histoires vous montre les gens sous un autre jour. C’est vraiment surprenant comment vous pouvez voir d’autres personnes juste venir avec leurs enfants — qu’elles soient occupées ou non — elles viennent quand même avec leurs enfants. Et j’ai l’impression que vous avez fait ça beaucoup pour d’autres gens et c’est vraiment incroyable. »

Ce qui nous inspire le plus peut-être, c’est d’être témoins de l’effet du Jardin aux Histoires sur le marché aux puces en tant que grande communauté. Un ancien employé a parlé des changements dont il avait été témoin au marché aux puces depuis le début du Jardin aux Histoires :
« La relation entre les employés et les vendeurs, a-t-il expliqué, était tendue. Les vendeurs restaient entre eux et l’atmosphère était souvent pesante. Les parents et les employés étaient constamment inquiets de la sécurité des enfants sur le marché. Maintenant, en fait depuis que vous êtes arrivés, on sait où vont les enfants et on sait qu’ils seront en sécurité et on sait qu’ils vont passer un bon moment. Alors nous, en tant qu’employés, on est plus à l’aise. Et les parents, je crois, le sentent aussi et ils peuvent se détendre un peu plus, parce qu’ils ont confiance en vous tous. Les vendeurs sont plus faciles à approcher maintenant. Ils s’ouvrent plus facilement à nous. L’ambiance est plus sympathique depuis que le Jardin aux Histoires s’est installé. »

En seulement cinq ans, le Jardin aux Histoires en est venu à faire partie de la communauté de Gallup et les changements positifs qu’il a provoqué sont allés au-delà de ce que nous aurions pu espérer au début.

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