La chance de devenir quelqu’un

En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Hamisi Mpana, Tanzanie.

Les enfants confrontés aux difficultés quotidiennes de l’extrême pauvreté, même s’ils vivent à proximité d’une école, n’y ont pas nécessairement accès. Il existe en effet des barrières multiples et complexes, entre autres la difficulté à comprendre le système de transfert, ou encore la peur de s’adresser aux personnes en position d’autorité.

Notre histoire s’intéresse à Mama R., une mère célibataire, et à ses trois enfants. La famille s’était installée dans un quartier au nord de Dar es Salaam, en Tanzanie. Avant le déménagement, les deux aînées avaient fréquenté l’école élémentaire. Après le déménagement, la maman n’arrivait pas à comprendre et à obtenir les papiers nécessaires au changement d’établissement scolaire. Elle avait tenté de persévérer mais, ne sachant ni lire ni écrire, après plusieurs tentatives infructueuses, elle finit par se décourager et jeta l’éponge. C’était éprouvant pour Mama R. de voir ses enfants rester à la maison, comme elle nous l’exprima : “ Je n’arrêtais pas de me demander : qu’est-ce qu’il arrivera demain à mes enfants ? ”

Un jour, Mama R. rencontra un militant d’ATD Quart Monde, qui participait à l’animation d’un cours d’alphabétisation pour des adultes d’un quartier. Il lui suggéra d’intégrer ce cours et de découvrir ATD, c’est ce qu’elle fit. Quand les premiers volontaires d’ATD se rendirent chez elle, ils virent que les deux plus grands enfants étaient à la maison mais ne posèrent pas de questions à ce sujet, pour ne pas humilier Mama R. Après plusieurs semaines de visite à la famille, ils comprirent quel était le soutien qu’elle espérait.

Comme les volontaires d’ATD connaissaient quelques écoles du quartier, ils acceptèrent d’accompagner Mama R. et ses deux filles dans l’une d’elles, afin qu’elles puissent rencontrer le directeur. On les informa alors que l’établissement comptait une classe Memkwa, où l’on accepte les enfants sortis du système scolaire depuis un certain temps.

La première rencontre avec l’enseignant de la classe Memkwa s’avéra humiliante pour Mama R. Il l’accusa devant les enfants de ne pas prendre soins d’eux étant donné qu’elle les avait laissés si longtemps sans aller à l’école. Le jour suivant, un volontaire d’ATD se rendit auprès du proviseur, qui se montra compréhensif au regard de la situation de Mama R et s’inquiéta de la réaction excessive du professeur. Il demanda au volontaire d’accompagner Mama R. et ses enfants le lendemain pour qu’ils puissent commencer l’école. C’est ce qui se passa, et les aînés commencèrent donc à étudier dans la classe Memkwa.

Peu de temps après avoir repris l’école, les deux filles allèrent jouer avec leurs amis et manquèrent l’école.
Il faut du temps en effet pour se réadapter à la routine, à l’organisation et aux règles scolaires ; pour les enfants un peu plus âgés qui, depuis un certain temps, ont pris l’habitude de jouer dans la rue, cela peut être un véritable défi.
Les enfants furent ramassés par la police. Choqué de voir la police ramener les enfants à l’école, le directeur les expulsa de l’école.

Mama R. se rendit à l’école et tenta de persuader le directeur de revenir sur sa décision et de reprendre ses deux filles à l’école. Il refusa. Humiliée et bouleversée, elle retourna auprès de ses amis d’ATD Quart Monde. Un volontaire se rendit à son tour dans cet établissement pour rencontrer le directeur, l’enseignant de la classe Memkwa, un policier et le représentant du conseil d’école, tous opposés au retour des enfants exclus de l’école.

Lorsqu’il eut enfin l’opportunité de s’exprimer, le volontaire d’ATD demanda : “ Quel sera l’avenir de ce pays si nous expulsons ces enfants ? S’ils n’ont pas la possibilité d’aller à l’école, ils ratent l’occasion de devenir des gens importants pour l’avenir de notre communauté, professeur, policier ou leader du quartier. ”

  • “ Si on leur offre la chance d’étudier, notre pays sera à l’avenir un lieu plus sûr pour eux. ”

Le directeur finit par se laisser convaincre et accepta que les enfants réintègrent l’école. À partir de ce moment-là, il devint très important d’apporter un soutien plus étroit aux enfants au sein de l’établissement.

Le directeur, le professeur de la classe Memkwa et la mère des enfants ont été d’accord d’échanger leurs numéros de téléphone et de rester régulièrement en contact. Aujourd’hui, Mama R. est reconnue par les enseignants de l’établissement, qui la saluent avec respect. Et quand elle a des difficultés, elle appelle l’enseignant pour lui expliquer qu’un de ses enfants risque de manquer l’école pour telle ou telle raison.

Grâce à la nouvelle confiance qu’elle a acquise face aux personnes en position d’autorité, la maman des enfants a pu inscrire son benjamin à l’école maternelle. Cette année, il a commencé l’école primaire. Les deux filles aînées apprennent bien à l’école. Aujourd’hui, lorsqu’on discute avec elle, Mama R. explique avec enthousiasme que ses deux filles vont finir l’école primaire l’année suivante.


Pour connaître d’autres 1001 Histoires, visiter le blog →

Pour en savoir plus sur ATD Quart Monde et l’éducation pour tous en Tanzanie, cliquez ici.

Pour connaître notre action d’alphabétisation auprès d’adultes en Tanzanie, cliquez ici.