Je ne veux plus vivre de miettes !

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À l’occasion de la semaine durant laquelle nous célébrons la Journée internationale des droits des femmes, découvrez une série d’articles qui met en lumière la capacité de résistance et l’inventivité des femmes face à la misère. Chaque jour, nous publierons un article qui rend hommage aux résistances et luttes de toutes les femmes.


Tatiane Soares, militante Quart Monde, se prête à un échange virtuel avec Mariana Guerra, volontaire d’ATD Quart Monde Brésil. Toutes deux démarrent la conversation en partageant leurs goûts pour les plantes.

« Si vous plantez une graine, l’espoir renaît. La graine est une fleur de plus qui naîtra dans votre vie ».

À l’aide de la caméra de son téléphone portable, Tatiane fait visiter virtuellement le jardin de sa maison située dans la favela de la Colline des Anges, dans le quartier de Caxambu à Petrópolis 1. La cour est pleine d’arbres, de plantes et de fleurs. Il y a un grand potager. Elle montre aussi sa vue spectaculaire des montagnes de cette région de l’état de Rio de Janeiro. Tatiane décrit de cette manière son attachement à la terre qui est au cœur de son engagement.

Pour Tatiane, être attentif à l’autre est un devoir humain. Ce n’est pas une question de charité. Ce sens de l’autre se réfère tant aux humains qu’à l’environnement. Ce n’est qu’avec ce sens de l’autre que nous pouvons faire face au cumul de crises qui dévastent le Brésil et le monde. C’est pourquoi Tatiane propose d’emblée à Mariana d’ajouter des graines de tournesol dans les kits de produits de prévention du COVID 19 qui seront partagés avec les habitants du Morro do Anjos (la colline des anges). La graine est l’étreinte qui ne peut être donnée en temps de pandémie.

Fleurs, Suisse, 1996 © Nelly Schenker / Centre Joseph Wresinski / AR0200704003

« C’est comme ça que je pense à ma vie, je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir. Les gens ont besoin de mots en ce moment. Nous avons besoin de ces gestes d’affection. Je me suis souvenue de la fleur de tournesol. Elle est jaune. C’est une fleur qui est belle. Nous avons mis ces graines de tournesol dans les kits, les gens pourront les planter. Si vous plantez une graine, l’espoir renaît.

Une graine, c’est une fleur de plus qui naîtra dans votre vie. Tout ce que nous faisons dans la vie, tout ce que nous plantons, c’est de l’espoir. Et avec de l’espoir, tout peut s’arranger. »

Rencontres, miroirs et engagement

À 16 ans, Tatiane connaît la dureté de la vie dans la rue en étant enceinte. Plusieurs fois, elle a connu la faim. Pourtant, Tatiane ne s’attache pas à décrire ce qu’elle a ressenti dans ces moments-là. Elle préfère parler des rencontres qui l’ont touchée. Ce sont des personnes qui stimulent un désir de « changer la vie » et d’aller de l’avant. Par exemple, cet homme qui vend des poulets rôtis :

  • « J’avais l’argent pour acheter le poulet rôti. Et le vendeur me dit : “Non, prends ce poulet, je te le donne”. Je me suis assise au milieu de la rue, et pendant que je mangeais, je me suis dit : si ça m’arrive, c’est pour que je donne plus de valeur à la vie. J’ai appris à valoriser les choses que Dieu me donne. »

Au Brésil, comme dans beaucoup d’autres pays, les personnes en situation de rue et les pauvres en général sont stigmatisés et mal considérés. Tatiane insiste sur l’importance de comprendre l’extrême pauvreté du point de vue de ceux qui se trouvent dans ces situations :

« Par mon propre vécu, je peux comprendre pourquoi les gens sont dans la rue, pourquoi ils sont dans le besoin, pourquoi ils agissent comme ils le font. Il faut s’appuyer davantage sur ce que les pauvres savent. »

Avec l’aide de sa belle-mère, Tatiane a réussi à sortir de la rue. Elle a aménagé à Caxambu à une époque durant laquelle « il n’y avait pas d’égouts, il n’y avait rien ». Elle a dû trouver des moyens de survivre avec sa famille. Pour faire des couches à ses enfants, elle découpe des vêtements. Les jours du marché, avec des voisines, elles récupèrent des invendus. Peu à peu, ces mêmes efforts qu’elles déploient rapprochent ces femmes. Ensemble, elles développent des savoirs qui leur permettent de survivre et de s’unir.

Tatiane évoque la violence qu’elle et d’autres femmes du quartier subissent. En se remémorant ces moments, Tatiane conclut :

« Je n’ai pas honte de ma vie, de mon histoire. J’ai protégé mes enfants de la faim du mieux que j’ai pu. Mais à un moment donné, je me suis dit : je ne veux plus de ça ! Je ne veux plus vivre de miettes ! »

Tatiane rencontre le Mouvement ATD Quart Monde. Des liens d’amitié se tissent. Cette rencontre avec le Mouvement fait écho à son propre combat :

« Il y a des paroles que l’on n’oubliera jamais ! Certaines rencontres ont marqué ma vie. Mariana a amené quelqu’un de la délégation générale d’ATD Quart Monde chez moi ! Cela m’a touchée et, soudain, j’étais quelqu’un ! Il m’a demandé ce qui me donnait la force pour dépasser mes difficultés. Je lui ai répondu : ma foi ! Ce sont des gens très différents de moi, mais nous partageons un engagement commun. Nous sommes des miroirs les uns pour les autres ! »

À partir de là, l’engagement de Tatiane prend un nouvel élan. Elle commence à organiser des rencontres avec des femmes de la Colline des Anges. Ces rencontres sont comme des points en dehors de la courbe de vie d’une femme pauvre. On peut se reconnaître dans l’autre et sentir toute la valeur que l’on a en soi-même. On peut se sentir fier du chemin parcouru. C’est le déclic qui suscite des changements pour Tatiane et d’autres femmes :

  • « Ici, beaucoup de femmes ont plein d’imagination et de sagesse. Ce sont des femmes qui veulent vaincre la misère. Je préfère les femmes dans le besoin, car ce sont des guerrières, elles veulent dépasser la misère. Nous, les femmes, nous devons nous unir pour en finir avec la violence. Nous, les femmes de la Colline des Anges, quand nous subissons des violences, nous ne nous aimons plus après ! Nous n’avons plus le courage de nous regarder dans un miroir ! Si vous donnez une glace à une femme de la favela, généralement, elle détourne son regard ! Pourquoi ne veut-elle pas se voir belle ? Parce que nous ne nous sentons pas aimées, c’est comme si nous étions des déchets. Pour moi, tout ça, c’est derrière maintenant. Je ne veux plus de cette vie-là. Je veux avoir une vie meilleure, je veux être une femme différente. »

« Nous devons nous unir en urgence »

La philosophie de vie de Tatiane sur le souci et l’attention portés aux autres ne limite pas l’altérité à l’être humain. L’autre, c’est aussi l’être vivant, la biodiversité.

En analysant la pandémie, Tatiane est loin de décrire un scénario apocalyptique :

  • « On dit que cette pandémie a tué beaucoup de gens, que c’est la fin du monde. Mais ce n’est pas ça ! Si on se pose, on peut en tirer une leçon : nous devons nous unir en urgence. Nous devons réfléchir à ce qui compte vraiment dans ce monde pour l’améliorer. Qu’est-ce qui compte et que peut-on faire pour résoudre la situation dans laquelle nous nous trouvons ? De nos jours, il n y a pas assez d’amour et de paix. Des gens perdent tout et meurent. On sacrifie des animaux, la nature, pour rien… Le monde hurle, il a besoin d’aide !
  • Et ce qui reste dans nos cœurs, c’est notre amour. Cette pandémie tue, mais elle ne nous vaincra pas. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir et faire la différence. »

Photo: Tatiane Soares et Mariana Guerra, Brésil, 2017 © ATD Quart Monde

  1. Petrópolis est une ville située à une soixantaine de kilomètres de Rio de Janeiro, au sud-est du Brésil. En 2020, l’Institut Brésilien de Géographie et Statistique estime sa population à 306.678 habitants (https://www.ibge.gov.br/cidades-e-estados/rj/petropolis.html).

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