Interview de Magdalena Sepúlveda, rapporteure spéciale des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme.

Analyse

Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les Principes directeurs sur l’extrême pauvreté et les droits humains ?

Il s’agit d’un ensemble de normes sur les droits humains adoptés récemment par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies. C’est la première fois qu’un document comporte des principes directeurs mondiaux exigeant des États des obligations spécifiques en matière de respect des personnes en situation d’extrême pauvreté. Ces Principes directeurs concernent les obstacles sociaux, culturels, économiques et structurels significatifs auxquels sont confrontés les personnes en situation de pauvreté. Ces obstacles les empêchent d’avoir accès à leurs droits et accroissent leur risque d’être discriminées, stigmatisées, victimes de violence, d’une mauvaise santé et d’une absence d’éducation. Tous ces facteurs ne font qu’augmenter et exacerber le cycle de la pauvreté à chaque génération. Basés sur les normes internationales des Droits de l’homme, ces principes serviront d’instrument aux législateurs pour garantir des politiques publiques qui atteignent les personnes les plus pauvres de la société et reconnaissent les obstacles auxquels elles sont confrontées pour avoir accès à leurs droits, en les respectant et en les rectifiant.

Comment les personnes les plus pauvres ont-elles participé à ce processus ?

Je pense que l’on peut affirmer à juste titre que les personnes en situation de pauvreté ont été le principal élément déclencheur pour que les Nations Unies développent ces principes. Nous ne pouvons oublier que Joseph Wresinski a lui-même incité l’ONU à développer des mécanismes de protection des droits des personnes en situation de pauvreté.

C’est ainsi que grâce aux efforts du mouvement international ATD Quart Monde, des personnes en situation de pauvreté ont été impliquées dans les consultations sur le contenu des Principes.

Je dois dire que pour moi, les contributions formelles et informelles de ces personnes ont été essentielles dans l’aboutissement de ce travail. Je voudrais aussi ajouter que lorsque je préparais l’ébauche des principes directeurs, j’ai été en mesure de prendre en considération le point de vue de personnes en situation de pauvreté que j’ai connues dans les pays où j’ai été en tant que rapporteure spéciale. Ces personnes ont partagé avec moi leurs expériences et leurs idées sur une multitude de thèmes tels que la discrimination, la protection sociale et les moyens de subsistance.

Pourquoi avons-nous besoin des Principes directeurs ?

Bien souvent, les personnes en situation de pauvreté sont négligées et oubliées par les décideurs politiques, en raison des obstacles majeurs auxquels elles sont confrontées pour avoir accès aux droits de l’homme et en bénéficier. Ces obstacles sont liés à la stigmatisation, à la discrimination, aux obligations financières, aux structures sociales, etc. Il est nécessaire d’affirmer les obligations de l’État concernant leur situation. De nombreuses violations des droits de l’homme affectent ces personnes plus qu’aucun autre groupe. La discrimination envers les plus pauvres est immense et généralement tolérée.
La pauvreté constitue la cause principale de vulnérabilité à la discrimination et aux autres violations des droits de l’homme. À cela il convient d’ajouter que les personnes en situation de pauvreté sont communément victimes de diverses formes de discrimination supplémentaires (comme la discrimination en raison de l’origine, du sexe et de l’incapacité des personnes) qui ne font qu’aggraver leur situation. C’est pourquoi les États ont besoin d’une orientation à suivre pour savoir comment mettre en œuvre leurs obligations pour respecter, protéger et garantir les droits des personnes en situation d’extrême pauvreté.

Croyez-vous que les Principes directeurs aideront les Objectifs du millénaire de l’après 2015 à garantir la pleine réalisation des droits humains pour tous ?

Je l’espère vraiment, oui. C’est notre défi commun. Nous devons travailler ensemble pour garantir un agenda de l’après 2015 qui prenne véritablement en compte la voix des plus pauvres et des exclus de la société. C’est notre principal devoir. De nombreux obstacles nous barrent la route, mais je crois que si nous le voulons vraiment, nous pouvons agir ensemble pour voir cette aspiration se transformer en réalité. Je suis convaincue que l’adoption de ces Principes constitue une pierre angulaire pour les efforts nationaux et internationaux concernant la protection des droits de ceux qui vivent en situation de pauvreté. Ces principes pourraient avoir un rôle clé dans la protection et l’autonomisation des personnes en situation de pauvreté dans le monde.