« Ils sont des veilleurs dans la nuit » : Geneviève de Gaulle Anthonioz

Photo : Université Populaire Quart Monde, Paris, 1998  © ATD Quart Monde / Centre Joseph Wresinski / 1000-003-004_004


Alors que nous approchons du centenaire de la naissance de Geneviève de Gaulle Anthonioz, le 25 Octobre 2020, c’est à la préface du livre Et vous que pensez vous ? L’Université populaire Quart Monde1 que nous pensons.  Cette préface exprime l’attachement profond de Geneviève de Gaulle Anthonioz à l’Université populaire Quart Monde, et plus encore aux militants Quart Monde qui en sont les principaux acteurs. « C’est vous qui avez expérimenté dans votre chair, dans votre vie, dans votre douleur familiale ce qu’est la privation de droits.  »

Marie et Georges Jarhling, qui ont vu dans leur jeunesse Geneviève de Gaulle Anthonioz découvrir le camp des sans logis de Noisy-le-Grand où ils vivaient, racontaient à un de ses biographes venus les interviewer : « Beaucoup de gens venaient nous voir et nous aider, mais souvent on sentait qu’ils nous prenaient un peu de haut, supérieurs. Geneviève, jamais. Pourtant on n’était pas du même milieu, mais elle était comme une sœur pour nous. »

Françoise Ferrand, volontaire et autrice du livre, se souvient : « Ça coulait de source de lui demander cette préface. Elle venait souvent à l’Université Populaire. Elle disait que ça la ressourçait. Elle venait dans le public, elle intervenait comme les autres participants, disant ce qu’elle avait à dire. Elle savait le rôle qu’elle avait, mais ce n’est pas ça qui l’habitait. Elle ne jouait aucun rôle, c’était naturel, elle était là à égalité fraternelle, d’une même humanité. »

Préface du livre Et vous, que pensez-vous ? L’Université populaire Quart Monde, par Geneviève de Gaulle Anthonioz

  • Le jour où les Assemblées, les Universités, les Tribunaux, les Entreprises, les Syndicats, les Associations se mobiliseront pour entendre vraiment la voix de ceux qui n’ont pas encore acquis les moyens de la parole publique et de la participation sociale ; le jour où ils tiendront compte de leur expérience de vie, de leur savoir, de leur pensée et de leurs droits humains ; le jour où ils réajusteront en conséquence les décisions, les analyses, les jugements, les activités, les solidarités qu’ils ont la charge d’assumer dans la société… Ce jour-là seulement nous aurons gagné une bataille décisive pour une véritable citoyenneté.
  • La conquête de la citoyenneté est une longue marche à travers l’histoire de notre civilisation pour affranchir l’homme de la dépendance, de l’exploitation et de l’exclusion qui sont autant d’atteintes à sa dignité. C’est à l’honneur de nos sociétés d’avoir entrepris hier de honnir d’abord, de bannir ensuite le servage, l’esclavage, l’apartheid… même si le racisme demeure encore une tentation diabolique et parfois une tragédie dévastatrice. C’est à l’honneur de notre société d’entreprendre aujourd’hui de refuser d’abord, de vaincre ensuite la grande pauvreté qui assaille toujours ou menace à nouveau des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants parmi nos propres contemporains et compatriotes.
  • Ce sursaut d’honneur, nous le devons, pour une part, à des voix qui se sont insurgées contre le scandale de la misère, au premier rang desquelles il nous faut nommer l’Abbé Pierre. Mais nous le devons, pour une autre part, à une voie ouverte par le père Joseph Wresinski : le rassemblement des citoyens autour des plus pauvres pour repenser avec eux la dignité et l’activité humaines, comme en témoigne l’aventure des Universités Populaires fondées et animées par le Mouvement ATD Quart Monde.
  • Là, s’expérimente une nouvelle école de citoyenneté. Il est possible, sous certaines conditions, de rassembler ceux qui font l’expérience de la grande pauvreté et des citoyens qui ont les moyens d’exercer leurs droits et responsabilités ; des gens qui ont « pignon sur rue » et des gens qui sont « à la rue ». Oui, il est possible de concevoir et de mettre en œuvre leur reconnaissance mutuelle et leur formation humaine commune.
  • C’est d’ailleurs absolument nécessaire pour notre démocratie : les plus pauvres et les plus exclus savent mieux que d’autres ce que devrait être une société juste et fraternelle et jusqu’où devraient
    aller les efforts d’une nation pour respecter la dignité de tous ses membres.
  • Mais si personne ne leur reconnaît ce savoir et cette capacité contributive, comment y croiraient-ils eux-mêmes alors que la société leur renvoie souvent l’image de leur inutilité sociale ? Si personne ne s’associe avec eux pour forger le langage de leur propre message, comment parviendraient-ils à se faire entendre d’une société qui ne voit souvent en eux que des insuffisances et des besoins? Et si personne, au sein des principales institutions publiques et privées, n’a été formé à penser autrement la société à partir des plus pauvres, comment espérer des changements substantiels pour garantir demain une vraie solidarité entre tous les citoyens ?
  • Tel est l’enjeu des Universités Populaires du Quart Monde. Elles annoncent, avec modestie certes, mais avec pertinence, ce que devrait être, ce que sera l’Université de demain. Dans toutes les disciplines des sciences humaines, chercheurs, enseignants et étudiants se passionneront pour prendre en compte le point de vue des plus pauvres ; ils prendront les moyens de les rencontrer, de les comprendre et de s’associer avec eux.
  • Je voudrais enfin m’adresser plus particulièrement à tous ces amis des Universités Populaires du Quart Monde. C’est vous qui êtes les premiers en ligne. C’est vous qui avez expérimenté dans votre chair, dans votre vie, dans votre douleur familiale ce qu’est la privation de droits. C’est vous maintenant qui pouvez continuer à dire ce que doit devenir cette nouvelle démocratie, où les droits de tous seraient vraiment reconnus, mis en pratique et réalisés. Vous n’êtes pas seuls. Des partenaires vous ont déjà rejoints. D’autres demain plus nombreux seront aussi à vos côtés.

Dans une très belle émission de France Culture diffusée cet été, Geneviève de Gaulle Anthonioz dit : « Ce qui a tout de même changé depuis 1958, c’est que les pauvres commencent à parler maintenant […] Ils sont des veilleurs dans la nuit. Ils empêcheront notre société de se perdre complètement. »

  1. Essai écrit par Françoise Ferrand, aux Éditions Quart Monde, février 1996, 290 pages

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