Dépasser les frontières : l’Université populaire à New York

Avons-nous besoin de se parler plus pour résoudre le problème de la pauvreté ? La réponse de l’Université populaire Quart Monde.

Souvent, nous regardons la pauvreté uniquement en termes de manques qu’il faut combler avec plus de ressources. Des gens vivent à la rue ? Construisons des logements. Les enfants ne sont pas prêts lorsqu’ils débutent l’école ? Proposons des classes de pré-école gratuites. A des problèmes concrets, des solutions simples et directes.

Mais quiconque a travaillé dans ces programmes ou en a reçu de l’aide saura que ce n’est pas si simple. Il y a souvent un manque de cohérence entre les personnes qui luttent contre la pauvreté et les solutions offertes. Même les experts de la lutte contre la pauvreté sont souvent perplexes quand les programmes qu’ils mettent en place ne marchent pas.

L’Université populaire, un lieu de dialogue

L’Université populaire est une rencontre entre personnes vivant dans la pauvreté, travailleurs sociaux, administrateurs de programmes ou élus. Cela semble simple, mais ce n’est pas le cas. Accusations mutuelles, impressions qu’on parle de la même chose alors que ce n’est pas le cas, dynamiques de pouvoir intimidantes – les obstacles à un échange authentique sont nombreux. En relançant l’Université populaire Quart Monde ces deux dernières années, l’équipe d’ATD New York a dû essayer et expérimenter afin de dépasser ces difficultés.

ATD Quart Monde a commencé ce programme à New York parce que les membres du Mouvement voulaient mieux comprendre certaines problématiques et échanger avec les personnes qui prennent des décisions qui affectent leurs vies. Pendant ces deux dernières années, ils ont appris ensemble à développer un format de rencontres qui permet des échanges constructifs.

Un groupe de préparation composés de sept membres d’ATD Quart Monde, militants, volontaires permanents, alliés, et une stagiaire en école de travailleur social ont décidé de mener trois Universités populaires pendant la première année autour des thèmes : ‘Soutenir la vie familiale’, ‘La rentrée’, ‘Communiquer avec nos élus’. La deuxième année, l’équipe d’Université populaire a voulu travailler sur la question du logement, en soulevant plusieurs problématiques telles que l’insalubrité, la pénurie de logements abordables, les relations locataires-propriétaires, pour finalement se concentrer sur le sans-abrisme.

Bâtir des ponts entre les personnes

ATD a énormément d’expérience pour bâtir des ponts entre les personnes marginalisées par la pauvreté et les autres. L’équipe de préparation a compris que

il n’était pas suffisant d’inviter des travailleurs sociaux ou des élus à une réunion pour espérer un dialogue constructif. Certains peuvent craindre de parler ouvertement. Des sujets qui  sont pour certains de l’ordre de la théorie peuvent être pour d’autres évocateurs d’expériences profondément traumatisantes et humiliantes.

Une animosité peut s’immiscer dans les conservations. Certaines personnes ayant fait de longues études peuvent s’adresser avec condescendance à des personnes ayant des difficultés à s’exprimer ou à lire.

Avant l’Université populaire, des rencontres de préparation sont tenues avec des personnes ayant une expérience directe de la pauvreté. Les organisateurs enregistrent les apports des participants sur le sujet, et travaillent ensuite les transcriptions pour en tirer les questions et activités qui permettront un dialogue constructif.

Pour l’Université populaire, les organisateurs ont convié des invités pouvant aider les membres d’ATD à approfondir leur compréhension de certains sujets. Ils espéraient également que les invités verraient l’Université populaire comme une occasion d’apprendre eux aussi grâce aux questions et aux commentaires des personnes vivant la pauvreté. Durant les deux premières années, des représentants d’agences de la ville et d’associations ont été invités. Pour la session sur le sans-abrisme, un élu du conseil municipal de Harlem – New York a participé ainsi qu’une représentante du groupe de travail onusien sur le sans-abrisme. Pour le thème de la rentrée, une représentante du Département du la Jeunesse et du Développement Communautaire de la ville de New York et une coordinatrice parents-enseignants d’une école publique ont rejoint les débats.

Des difficultés à surmonter

Tout ne s’est pas toujours déroulé comme prévu. Certains invités pensaient qu’il leur suffirait de venir et de faire un discours. D’autres étaient trop impatients d’entrer dans le dialogue. L’équipe de préparation a pris conscience qu’un dialogue réussi nécessitait plus de temps de préparation avec les invités, de façon à comprendre leurs motivations et espoirs – et aussi avec les participants ayant l’expérience de la pauvreté afin de maîtriser en profondeur le sujet.

Des sessions de préparation ont été ajoutées afin de faire mieux comprendre les difficultés auxquelles les personnes vivant dans la pauvreté font face et leurs espoirs. Les participants ont créé des affiches qui ont été accrochées dans la salle de rencontre pour se remémorer les points abordés et continuer à y réfléchir. Regarder un film ensemble a permis aux participants de mieux se connaître. Tout cela a contribué à avoir un dialogue plus profond.

Le théâtre forum, un outil créatif pour se parler

L’utilisation du Théâtre Forum a aussi aidé les membres d’ATD vivant dans la pauvreté à travailler en se sentant à l’aise et motivés.

Chaque petit groupe a travaillé sur une histoire vraie en la transformant en saynète puis a invité les membres de l’audience à participer en apportant des idées pouvant aider à résoudre les points de blocages mis en scène. L’objectif n’était pas de trouver une solution parfaite, mais de réfléchir à ce qui aurait pu faire évoluer la situation différemment. Le fait d’apporter leurs expériences personnelles dans le scénario du théâtre forum a permit aux participants de prendre de la distance sur des traumatismes et a apporté les conditions nécessaires pour parler de ces moments difficiles. Quand ces saynètes ont été présentées pendant l’Université populaire, les représentants des services sociaux ou d’autres programmes se sont impliqués pour trouver des alternatives créatives à ces situations frustrantes. Cela a facilité un dialogue plus pointu et a aidé à éviter les accusations mutuelles qui pourraient apparaître lors d’un débat plus théorique sur ces questions.

Un de nos invités, qui représente une organisation de plaidoyer pour les vétérans sans-abri, a expliqué : « Habituellement, ma façon de fonctionner c’est de me dire qu’il faut une solution tout de suite. Mais ce que je viens d’apprendre, c’est que je ne vous ai jamais demandé ce que vous [la personne dans la saynète de théâtre forum] ressentez ! »

Demander à une personne ce qu’elle ressent avant de penser aux solutions à son problème est essentiel pour faire tomber les barrières entre des personnes venant de différents milieux. Cette année, les participants à l’Université populaire vont continuer à se servir de cette approche efficace lorsqu’ils travailleront sur les thèmes de ‘santé mentale’, ‘jeunesse et réseaux sociaux’.

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