Intervention de Marco Ugarte Membre de la Délégation régionale , Mouvement ATD Quart Monde Amérique latine et les Caraïbes

La non-reconnaissance des personnes vivant dans la misère comme êtres humains. Colloque international « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » Maison de l’UNESCO 26 Janvier 2012

Il y a 25 ans, dans cette Maison de l’Unesco, j’ai participé au séminaire « Famille, extrême pauvreté et développement » durant lequel j’ai connu le Père Joseph Wresinski. Ce fut une rencontre qui m’a marqué et qui a influencé ma compréhension de la situation des plus pauvres et mon action avec eux comme anthropologue social.

C’était la première fois que j’ai entendu une idée centrale qui est au cœur de la pensée politique de Joseph Wresinski. L’idée que les plus pauvres de la société, ceux qui ne comptent pas pour les autres, qui sont détruits personnellement ou n’ont pas la conscience sociale et politique qui leur permette de contribuer au changement social, ces personnes ont une connaissance et une expérience fondamentales pour repenser nos relations dans la société, notre manière de construire la citoyenneté, la démocratie et le respect des droits de l’homme.

Wresinski a dénoncé l’échec de l’humanité dans son ensemble devant le problème de la pauvreté, en montrant que cet échec avait à voir avec notre incapacité à reconnaître la lutte quotidienne des plus pauvres contre la pauvreté et à nous y associer.

Wresinski a montré le caractère universel de la pauvreté, en soulignant l’existence de cette population à la fois dans les pays du sud et du nord. Il a dénoncé son caractère générationnel, ce qui l’a amené à dire que la pauvreté se transmet de génération en génération et qu’une population en extrême pauvreté n’est pas une fatalité ni le produit d’une situation temporaire, qu’il faut plusieurs années et plusieurs générations pour créer une population libérée des chaînes qui la relient au plus bas de l’échelle sociale.

Wresinski a été le premier qui a eu le courage de dénoncer la pauvreté comme une forme de violence cruelle et intolérable là où le discours officiel parle de la pauvreté comme une question de privation matérielle et de développement. Il est important de reconnaître que l’extrême pauvreté porte en elle une immense injustice, qu’elle est l’un des plus grands fléaux que doit affronter la société, car elle détruit des vies, des familles et des communautés.

L’extrême pauvreté inflige tout un mécanisme de violence à la partie la plus fragile de la société, pour des raisons économiques, sociales, culturelles et historiques. Bernardo Martinez, un indigène mexicain du peuple Triqui me disait : « Nous portons en chacun de nous notre culture, c’est à dire nos traditions et nos coutumes, notre langue Triqui que nous gardons depuis plus de 500 ans et qui est l’héritage que nous avons reçu de nos ancêtres. A plusieurs reprises, des personnes et des institutions nous critiquent en disant que ce que nous faisons pour maintenir vivante notre culture, c’est mal. Par divers moyens, ils ont voulu que nous oubliions nos traditions. Depuis tout petits, nous les membres du peuple Triqui, apprenons à vivre ensemble en communauté, comme c’est notre coutume ; vivre ensemble nous permet d’endurer le regard de la plupart des gens qui nous regardent différemment, la société qui nous exclut, en nous appelant migrants dans notre propre pays …. « 

Aujourd’hui, nous sommes ici pour partager avec vous le fruit de trois années de travail de personnes d’origines sociale, culturelle et géographique différentes, pour créer une construction dynamique d’une compréhension renouvelée des mécanismes qui enferment dans la misère et la violence les plus pauvres dans la société. Dans le même temps, nous voulons révéler à tout le monde la façon dont ces populations créent la paix dans le quotidien, une paix qui rend la vie possible là où les conditions de pauvreté et d’exclusion font de la vie un enfer.

Parlant de la paix et de l’espérance que cet objectif mobilise les pauvres du monde, Wresinski parlait de la violence de l’amour, cette violence qui, disait-il, provoque les véritables révolutions profondes et définitives, des résurrections qui redonnent vie, respect, honneur, gloire et bonheur à tous les hommes ; cette violence qui est celle de l’amour, c’est par elle que nous nous donnons les uns aux autres pour briser ce qui nous sépare et nous confronte et que nous réaffirmons notre humanité commune pour mettre en avant dans nos quartiers, dans nos communautés, tout ce qui nous unit et rend possible la vie pour tous.