Vers une Europe qui ne laisse personne de côté

L’édition 2016 de l’Université Populaire Quart Monde européenne a eu lieu à Bruxelles les 19 et 20 décembre 2016, avec une séance plénière au CESE (Comité économique et social européen).

Des délégations des Universités populaires de plusieurs pays (Belgique, Espagne, France, Grande Bretagne, Irlande et Pays-Bas) ont dialogué durant deux jours avec des représentants d’institutions européennes et nationales (Comité économique et social européen, CESE France, Commission Européenne) et du secteur associatif (EAPN, FEANTSA, Social Platform, ESAN, Armée du salut Europe, CSC Bruxelles-Vilvorde, Caritas Europe, Centre de Natoye, ATD Quart Monde), pour « réfléchir ensemble à une Europe de la paix et de l’égale dignité. »

Ils ont cherché à faire avancer deux droits essentiels dans la lutte contre la pauvreté : le droit à l’existence légale et le droit à des moyens convenables d’existence.

Ces deux thèmes font partie des « 14 propositions pour une Europe sans pauvreté ni exclusion » issues de l’Université populaire européenne 2014. Ils ont été travaillés dans les Universités populaires locales, en préparation de l’Université populaire européenne 2016. Les 19 et 20 décembre, les participants ont échangé en ateliers thématiques puis en plénière, apportant chacun la diversité de leur expérience et leur savoir spécifique.

L’expérience de personnes en situation de pauvreté a révélé une fois de plus l’inégalité des citoyens européens devant les droits. Ce fut un point de départ pour réfléchir aux solutions à apporter au niveau européen et au sein des pays, afin de rendre effectifs ces droits.

Le droit à l’existence légale sur le territoire

  • Nous demandons à l’Union européenne de garantir à toute personne vivant sur son territoire le droit à l’existence légale. Proposition 1 de l’Université Populaire Quart Monde européenne 2014

« Ce n’est pas moi qui me cache, ce sont les autres qui me cachent. »

De nombreuses personnes en Europe n’ont pas d’existence légale reconnue, alors que ce droit est protégé par l’article 16 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui proclame le droit à la personnalité juridique. Dès lors, l’accès à d’autres droits est très difficile, voire impossible (participation, travail, santé, logement, droit de vote…). Et cette réalité n’est pas bien prise en compte dans les statistiques. Elle concerne de nombreux migrants, des demandeurs d’asile, des citoyens de l’UE résidant dans un autre pays de l’UE, notamment des Roms, des personnes effacées ou non inscrites dans les registres d’état civil, mais aussi des personnes sans domicile, vivant à la rue ou dans des campings, qui sont comme des clandestins dans leur propre pays. Toute une diversité de situations du point de vue administratif, mais pour les personnes, c’est la même insécurité pesante, souvent pendant plusieurs années.

Des participants ont témoigné de leurs situations de « citoyens fantômes » de l’Europe. Vivre sans papiers ou sans statut a de nombreuses conséquences dans l’accès aux droits : « Les procédures longues et incertaines détériorent la santé mentale ». « Une personne pourtant citoyenne européenne a mis 13 mois pour obtenir un numéro d’assurance nationale au Royaume Uni. Sans ce numéro on ne peut pas travailler ni ouvrir un compte bancaire. » Un homme des Pays-Bas a témoigné de la violence de ne pas exister aux yeux des autres :

  • « J’avais un travail mais je n’étais plus inscrit dans le registre de base des personnes, mon patron l’a découvert et m’a licencié. Les services sociaux m’ont dit : « Vous n’existez pas ».

 

En Espagne, des citoyens en situation de mal logement se voient refuser l’inscription sur les registres communaux. Dans le sud-est de l’Europe, des générations de personnes n’ont pas d’acte de naissance, parce qu’elles ne peuvent pas accoucher à l’hôpital. Or c’est la maternité de l’hôpital qui délivre le document le plus communément accepté pour ouvrir ce droit à l’identité. D’autres, du fait des guerres récentes ont été rayées des registres.

Que faire face à ces situations ? Des propositions ont été formulées, comme d’améliorer les procédures avec des échéances annoncées et respectées. S’il n’y a pas de décision prise à l’échéance limite, il a été recommandé d’appliquer automatiquement la décision en faveur de la personne. Il faudrait aussi augmenter les moyens pour être à la hauteur des défis.

Un autre recours existe au niveau européen : la Charte sociale européenne, ratifiée par tous les pays d’Europe, concerne toute personne vivant sur le territoire européen. Cette charte établit les obligations des États en matière de droits fondamentaux (travail, santé, éducation…). Certains de ces droits doivent s’appliquer aussi aux personnes en situation irrégulière sur le territoire. Pour augmenter la protection qu’offre la Charte sociale européenne, il faudrait que tous les pays de l’UE ratifient la Charte sociale révisée ainsi que le protocole des réclamations collectives.

Garantir des moyens convenables d’existence

  • Nous demandons à l’Union Européenne de mettre en place une directive portant sur des moyens convenables d’existence pour chaque personne qui inclut un revenu minimum décent dans tous les pays membres et qui prenne en compte le coût du logement. Proposition 8 de l’Université Populaire Quart Monde européenne 2014
Fatiha Ziane, militante quart monde et animatrice du groupe de Dunkerque

« Ce n’est pas évident, quand on a tout payé, de toujours dire non à ses enfants. »

De nombreuses personnes en Europe vivent dans l’angoisse permanente parce qu’elles manquent de tout, se demandent comment elles vont finir le mois, comment nourrir leurs enfants. Elles disent aussi « le logement nous coûte une fortune et on n’y arrive absolument pas. »

Dans un contexte difficile de manque d’accès à l’emploi, le « revenu minimum d’existence » assure une sécurité de base. Il existe dans la plupart des pays européens mais pas encore en Italie ni en Grèce. En l’absence d’un revenu garanti dans certains pays que reste-t-il pour vivre ?

  • « C. vit en Italie sans aucune ressource. Ça a des conséquences sur sa santé. Elle dépend d’emplois précaires, non déclarés, de l’assistance, doit aller manger dans des « mensas » (restaurants caritatifs). La réponse des politiques italiennes n’est pas à la hauteur : dans quelques villes on donne aux gens une carte d’achats créditée de seulement 80 euros par mois… »

Des participants ont insisté pour dire que le niveau de ce revenu était souvent insuffisant. « Avec mes problèmes de santé, quand j’ai payé tous les frais médicaux et le logement, il me reste 50 euros par mois. » De plus, tous les citoyens n’y ont pas accès à cause de la complexité des démarches pour l’obtenir, des informations peu accessibles aux personnes en grande difficulté, ou même des conditions d’attribution.

En Belgique, comme dans d’autres pays, ce revenu n’est pas non plus individualisé. Son montant change selon que le bénéficiaire est considéré comme une personne « isolée » ou « cohabitante ». « Ma fille a obtenu un travail. On était considérés comme étant en couple car elle gagnait de l’argent et on vivait dans la même maison. Mon revenu minimum a baissé ainsi que l’aide au logement. Ma fille est partie de la maison pour que je ne perde pas d’argent mais ce n’était pas ce qu’on voulait. Ils ne devraient pas tenir compte des ressources de ma fille ; elle démarre dans la vie. »

Plusieurs personnes ont rappelé que l’aspiration profonde des personnes est d’avoir un travail avec un revenu décent. « Un revenu minimum oui, mais moi je préfère avoir un salaire. Les gens travaillent et vivent dans la pauvreté : ce nombre augmente en Europe si le salaire n’est pas décent, les conditions de vie ne sont pas suffisantes. »

Les participants à l’Université populaire Quart Monde européenne ont travaillé à l’élaboration de documents présentant des propositions pour que le revenu minimum garantisse à tous les citoyens et résidents européens des conditions dignes d’existence :

  • le système de revenu minimum doit être le plus universel possible (pour toutes les personnes vivant en Europe),
  • il faudrait individualiser le revenu minimum,
  • séparer le revenu minimum des aides au logement (qui, elles, concernent des ménages),
  • améliorer l’aide au logement (les régimes de revenu minimum sont souvent insuffisants pour payer le loyer et les charges).
Elena Flores (Commission Européenne)

Les membres du Comité économique et social européen ont conclu en affirmant leur soutien aux propositions énoncées durant le débat : «  Merci pour ce débat très riche, j’ai beaucoup appris, a conclu une des membres du CESE. Nous vous demandons de continuer à nous fournir des informations pour s’attaquer à ces problèmes. »

Les 3 délégués du CESE présents lors de la séance publique : Adridna Abeltina, Seamus Boland, Irini Pari

Photos : Carmen Martos – haut de l’article : Université Populaire belge francophone et groupe de demandeurs d’asile de Natoye.