Un article de presse peut-il changer le monde ?

En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue. L’histoire qui suit a été écrite par Bruno Tardieu et Jurg Meyer (Suisse).

Au printemps 1972, le supplément week-end du journal suisse ‘Baseler Zeitung’ publia un article sur la pauvreté en Suisse. Écrit par Jurg Meyer, journaliste et président d’ATD Quart Monde en Suisse, il fut l’un des premiers articles d’un grand journal suisse à envisager l’aspect multidimensionnel de la pauvreté. Cet article montra que des personnes vivant tous ces manques à la fois - logement, revenus, formation - étaient condamnées à l’exclusion sociale.

Grâce à l’article de Meyer et au livre qui suivit  - ’La Pauvreté en Suisse’ -  la misère entra dans la conscience collective des médias suisses. « Cet article eut un impact considérable » se remémore Meyer dans l’ouvrage ‘Artisans de démocratie‘. « Une des raisons en fut que c’était l’un des premiers articles du genre. D’autre part, il paraissait au bon moment. C’était la fin de l’euphorie économique, une époque où émergeait un certain scepticisme quant à l’organisation de la société. Les questions que je posais trouvèrent un écho. »

Jurg Meyer

Meyer continua à parler dans son journal des combats des personnes vivant la pauvreté qu’il côtoyait au sein d’ATD Quart Monde en Suisse.

Chaque jour, lors des conférences de rédaction, où les journalistes lisaient et critiquaient le numéro de la veille, Meyer indiquait les articles qui dépeignaient injustement les personnes vivant dans la pauvreté, ou les mettaient en danger.

  • « Si les journalistes ne rencontrent ou ne communiquent que très rarement avec les pauvres, cela exacerbe cette tendance à les caricaturer : soit en les diabolisant — les rendant responsables de tous les maux de notre société — soit en les présentant comme des anges, des victimes de tous les méfaits de la société. Cela peut arriver avec n’importe quel groupe social, mais les groupes les plus faibles ne peuvent trouver la force de répondre publiquement » affirme alors Jurg Meyer.

Petit à petit, le ‘Baseler Zeitung’ et les autres journaux suisses se mirent à suivre un code de conduite : ne pas préciser le nom de certains lieux ou de certaines personnes n’étant pas des personnalités publiques ; ne pas accuser les personnes inutilement - quelques soient les torts ; n’accuser personne d’un délit avant condamnation. Toute la société bénéficia de ce code, qui fut établi surtout grâce aux personnes pauvres car c’était bien leurs quartiers qui étaient cités comme preuve à charge, leurs noms qui apparaissaient dans des accusations fondées sur des rumeurs.

Pour Meyer, « lentement mais sûrement, l’idée selon laquelle certaines personnes n’avaient pas les moyens de s’assurer que leurs droits soient respectés et défendus faisait son chemin. Grâce à la campagne menée par le ‘Baseler Zeitung’, le 16 décembre 1983, le code civil Suisse fut amendé pour donner aux personnes et aux groupes un droit de réponse dans les médias qui les mettaient en cause. »

Cette approche nouvelle conduisit à un équilibre éthique délicat : « mes prises de position furent bientôt remarquées par les gens défavorisés de toute la région […]. Je commençais à recevoir un important courrier de lecteurs défavorisés qui voulaient qu’on présente leurs situations d’injustice. »

Parfois le seul fait de savoir qu’un journal avait connaissance d’une situation était suffisant pour que cela ait un impact positif. « Je me souviens d’une femme qui nous avait alertés sur le placement de ses six enfants » se rappelle Meyer. « Quand j’ai commencé à contacter les responsables de la commune pour connaître mieux la situation, celle-ci a immédiatement réexaminé la situation et a renoncé à ce placement. Je n’ai pas eu à écrire d’article. »

Pour les plus défavorisés, avoir l’opportunité de voir leur histoire écrite ou entendue était une première victoire, mais il restait encore fort à faire.

  • « Les pauvres, comme tout le monde, ne veulent pas être associés seulement à des problèmes ; ils veulent être associés aux débats démocratiques, prendre part à la culture de tous, apporter leur pierre au bien commun.»

Cette occasion se présenta à travers un article paru au printemps 1991, à l’occasion de l’inauguration d’une tapisserie réalisée par Madame Nelly Schenker, militante Quart Monde qui avait vécu la misère et retraçait la vie du fondateur d’ATD Quart Monde, Joseph Wresinski, lui-même issu de la pauvreté. Le travail de Nelly Schenker aurait-il pu être l’objet d’un article, sans l’assiduité de Meyer à mettre en avant les contributions des personnes pauvres ? Le journaliste chargé de la culture aurait-il été aussi enthousiaste si le journal n’en était pas venu à reconnaître l’importance de considérer les personnes pauvres ?

« Les contributions des personnes vivant dans la misère ne se font pas sans effort et souvent, on ne les remarque même pas. » Rétrospectivement, Meyer a observé le rôle du journalisme dans le combat contre la misère : « Ces contributions ne peuvent émerger sans un engagement spécifique à les mettre en lumière. »

Article extrait de Artisans de démocratie de Bruno Tardieu.

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