Réflexions sur la justice : l’université populaire en Bolivie

“Les lois ne sont pas faites pour ceux qui ont peu de moyens”

Quelles difficultés et expériences avez-vous eu avec la justice ? Quelles en ont été les conséquences pour vous et votre famille ? C’est sur ces questions que neuf groupes ont travaillé pour préparer l’université populaire Quart Monde, qui s’est tenue au siège d’ATD Quart Monde à El Alto, sur le thème de la justice en Bolivie.

L’avocat Oscar Cordero était invité à la rencontre afin d’écouter, de réagir et d’établir un dialogue avec les 40 participants. Ces derniers ont partagé leurs expériences et réflexions au cours de la rencontre, témoignant du quotidien de nombreuses familles boliviennes.

La corruption, la diffamation et les mauvais traitements dans les centres de justice et de police sont quelques-unes des réalités qui ont fait l’objet de l’université populaire.

Les interventions qui suivent mettent en avant les difficultés quotidiennes rencontrées par de nombreuses personnes en situation de pauvreté pour accéder aux système judiciaire dans le pays, ainsi que les réflexions de l’avocat invité sur les outils pouvant favoriser l’accès à la justice et à des traitements dignes pour tous les citoyens.

Éviter la corruption

« Mon beau-frère a été tué dans un accident il y a 3 ans. Comme l’autre partie se défendait, le procureur a commencé à sous-entendre que si on lui donnait de l’argent, on pourrait faire avancer le procès… Et si vous n’avez pas de témoins, vous devez donner de l’argent, même à ceux qui témoignent pour vous », une des participantes a ouvert la réunion avec ces paroles qui font référence à la corruption dans les tribunaux.

L’avocat invité a déclaré au sujet de la réalité bolivienne : « Nous-mêmes, nous encourageons dans certains cas la corruption. Lorsque vous vous rendez au tribunal, normalement vous ne devriez payer le notifiant, il perçoit déjà un salaire. Mais pour éviter la corruption, vous devez dire à l’avocat : ‘Je souhaite que nous menions le procès de manière transparente et conformément à la loi’. »

« Mais que font-ils lorsque nous dénonçons le système ? Ils s’en prennent à nous. J’ai déjà vu cela. Et si vous parlez de droits à la police, ils vous repoussent et vous donnent le sentiment d’être un moins que rien. », explique une jeune habitante de El Alto.
Un homme originaire d’une communauté rurale s’interroge également :

  • « Qui encourage la corruption ? Ceux qui ont de l’argent. Les gens pauvres n’encouragent pas la corruption. C’est la réalité. Et qui sont dans les prisons ? Les gens qui n’ont pas d’argent. »

En finir avec l’intimidation et le manque de respect

En se basant sur l’expérience d’une participante, la question des mauvais traitements dans les centres de justice et de la police a été abordée. Elle raconte : « Il s’agissait d’une affaire juridique au sujet des pensions de ma petite fille. Les centres de justice sont vraiment décevants, on y est très mal accueillis. Au lieu de vous aider, ils vous font peur, vous font des reproches, vous traitent mal… et avec toute cette peur-là, vous n’avez pas envie de commencer le procès ! »

Au sujet des instances et des procédures à suivre, l’invité déclare qu’il faut continuer à dénoncer les cas de mauvais traitements : « Dans toutes les institutions publiques, il y a de la transparence. Si un policier s’en prend à vos droits, il faut demander à voir son responsable, et si le commandant ne prête pas attention à vous, vous devez vous adresser au service de transparence ou au bureau du défenseur des droits. Et si personne ne s’occupe de vous, alors il faut faire appel aux médias. »

Une autre personne a réagi à cette information en évoquant un exemple personnel : « Il y a peu de temps, mon frère avait des problèmes. Le défenseur des enfants ne nous a pas prêté attention. Il m’a dit : « Vous n’êtes que sa tante, je parlerai qu’avec son père ». Ils n’ont pas voulu m’écouter. Même en étant sa tante, je souhaite que justice soit faite pour mes neveux. Nous pouvons nous plaindre à la hiérarchie, mais est-ce qu’ils nous écouteront ? J’en doute. »

Une autre participante a ajouté : « Je crois que nous devons être plus forts et faire valoir nos droits. Si une personne nous maltraite, il faut la dénoncer et aller jusqu’au bout…

  • Car si nous baissons les bras, si personne ne dit rien, les choses ne changeront jamais ».

Justice et dignité

Parmi les sujets abordés, il y avait également les expériences de diffamation dont souffrent certaines personnes : « Ma fille travaillait dans un hôtel. Son chef l’a accusée de vol et m’a accusée aussi. Je suis allée à la Force Spéciale de la Lutte contre le Crime et le jour suivant, j’étais à la prison de Obrajes et ma fille à celle de Miraflores. Son chef lui demandait toujours plus d’argent. Mais je n’ai pas d’argent, donc j’en ai emprunté pour pouvoir sortir. Mais je ne pouvais pas faire sortir ma fille. Je ne sais pas quoi faire et je ne sais pas à qui avoir recours. Je suis épuisée. Et je me sens impuissante. »

Une autre participante insiste : « Beaucoup de personnes finissent en prison, avant même d’être jugées ou reconnues coupables. La famille en souffre, les enfants aussi, et les années passent, mais personne ne vous rend ce temps-là, ni votre dignité. »

En entendant ces interventions, l’avocat invité commente : « Parfois, même si vous n’avez rien fait ou sans le vouloir, vous vous retrouvez dans une situation compliquée et vous devez payer. Dans ce cas, la seule instance à laquelle vous pouvez faire recours c’est la justice, qui n’est malheureusement pas juste. Pour y faire face, vous devez faire attention… Ne signez jamais de papier sans l’avoir lu au préalable. Et si vous ne le comprenez pas, le mieux est de ne pas le signer. »

La justice, un problème qui concerne tout le monde

La dernière intervention a permis de mettre en avant l’engagement des professionnels de la défense des droits de toutes et de tous : « Il y a des personnes qui n’ont vraiment pas les moyens de payer un procès. Ils ont besoin de nous, professionnels, pour la partie judiciaire, mais également pour la santé et l’éducation. »

Cette université populaire Quart Monde a encouragé les personnes présentes à poursuivre la réflexion sur ces thèmes et à participer à ces espaces qui permettent, notamment aux personnes vivant dans l’extrême pauvreté, de faire des rencontres, de prendre la parole et d’être reconnues comme porteuses de savoirs et de connaissances.

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