Les Nations Unies contestent les politiques sociales brutales du Royaume-Uni

« Je n’ai jamais connu tant de peur, d’incertitude, de traumatisme, de panique, de désemparement, avec l’impression de vivre une situation surréelle. J’ai le sentiment d’être prise au piège d’un monde parallèle. Est-ce que les marginalisés des années 30 en Europe se sentaient aussi comme ça ? Le moindre mot qui sort de notre bouche est ignoré, manipulé, ou mal interprété. »

– Cathy, militante d’ATD Quart Monde Royaume-Uni

Cathy et d’autres personnes qui vivent dans la pauvreté ont partagé leur expérience avec Philip Alston, rapporteur spécial des Nations Unies pour l’Extrême Pauvreté et les Droits de l’Homme, lors d’une rencontre à la mairie de Newham, à Londres. Le rapporteur spécial de l’ONU et son équipe ont organisé une visite de douze jours au Royaume-Uni. Après sa visite, il enverra un rapport au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. Tom Croft, membre de l’équipe de coordination nationale d’ATD Quart Monde Royaume-Uni, a souligné « combien Philip Alston a fait preuve de rigueur en cherchant à entendre et à promouvoir les voix de celles et ceux qui font l’expérience de la pauvreté et qui subissent de plein fouet la politique d’austérité de la Grande-Bretagne ».

La déclaration d’Alston, au terme de la visite, a conclu que « des éléments essentiels du contrat social de l’après-guerre ont été balayés. Ce faisant, […] une profonde misère a été imposée sans que cela n’ait été nécessaire. […] C’est cette mentalité qui a nourri bien des réformes qui ont infligé le plus de misère et fait le plus de mal au tissu social britannique. La compassion britannique pour celles et ceux qui vivent la pauvreté a été remplacée par une approche punitive, cruelle et souvent brutale. […] Que presque un enfant sur deux en Grande-Bretagne, au vingt-et-unième siècle, soit pauvre, ce n’est pas seulement une honte, c’est une calamité sociale et un désastre économique. »

Une intervenante montre au rapporteur spécial des Nations Unies un plaid qu’elle confectionne en la mémoire de celles et ceux qui ont trouvé la mort à cause des coupes dans le budget de la sécurité sociale. (Photo de Nicola Sharp-Jeffs).

La déclaration écrite d’ATD Quart Monde lors de la visite du rapporteur spécial des Nations Unies a souligné que :

« Trop souvent, des sanctions financières sont imposées par le ministère du travail et de la sécurité sociale sur la base d’un manque d’informations, comme lorsqu’une personne est punie pour ne pas avoir assisté à une réunion, alors même que les administrateurs avaient organisé deux réunions obligatoires au même moment à deux endroits différents. Ces sanctions sont souvent cruellement disproportionnées, comme lorsqu’un seul rendez-vous manqué se traduit par un mois d’allocations retiré.

Le système paraît être sciemment organisé de manière labyrinthique, de sorte à ce que les personnes vulnérables ne puissent pas contester les sanctions qu’on leur a imposées de manière injuste ou incorrecte. Se défendre efficacement exigerait beaucoup de temps et de savoir-faire, tandis que les gens sont au bout de leurs forces essayant de boucler les fins de mois, malgré le poids des sanctions.

La rhétorique utilisée pour justifier ces sanctions crée des divisions dans la société et impose des stéréotypes négatifs sur les  personnes qui touchent des aides sociales. Cela conduit le grand public à les considérer avec suspicion et méfiance.

  • Cette « ère des sanctions » donne l’impression à beaucoup de personnes vulnérables d’être victimes d’un harcèlement systématique de la part de l’État.

Les effets négatifs bien documentés de ces sanctions, comme les difficultés nouvelles, les dettes, l’anxiété, la maladie mentale et physique, affaiblissent considérablement les personnes et compliquent beaucoup la recherche d’un emploi. »

Croft a remarqué que la déclaration d’Alston a « reconnu qu’il existait un climat de peur et de cruauté, un climat de violence, créé par l’austérité, par les sanctions aux allocations et par l’offensive générale au Royaume-Uni contre les pauvres, et les attitudes qui la caractérisent. Il a aussi montré les liens consubstantiels entre la pauvreté et les droits humains, dans le contexte du débat britannique sur la pauvreté, qu’on a eu tant de mal à mener, dans ce pays où les médias sapent fréquemment le concept de droits humains, en les présentant comme quelque chose qui ne sert qu’à défendre les criminels et les terroristes. »

Malgré le grand pas en avant pour la lutte contre l’extrême pauvreté que représente la visite du rapporteur spécial au Royaume-Uni, un obstacle significatif reste ignoré, selon ATD Quart Monde. Croft est de plus en plus préoccupé par l’impact de la pauvreté sur le droit à la famille en Grande-Bretagne et sur les préjudices subis par les familles pauvres de la part des services de protection à l’enfance, particulièrement quand ces familles sont confrontées à des difficultés multiples et sévères. La déclaration d’ATD à Alston a aussi expliqué que : « Comme il a été décrit par ‘The Observer‘, à une époque où les parents pauvres ont le plus besoin de services de soutien qui les aident à subvenir aux besoins de leurs enfants (comme des bibliothèques, des maisons de quartier, des maisons de l’enfance et des clubs pour la jeunesse), ces services sont supprimés, ce qui conduit à un nombre croissant d’enfants de familles vulnérables placés sous l’autorité des services sociaux, à cause d’une négligences présumée. Mais il faut se demander alors : qui exactement est en train de négliger qui ? Au cours de notre travail quotidien auprès de parents qui bataillent avec les conséquences de la pauvreté, nous observons qu’ils sont de plus en plus marginalisés et négligés par la société.

  • En l’absence d’un budget pour le soutien préventif et précoce, placer les enfants avec les services sociaux est censé être la solution, comme l’augmentation du nombre de placements le suggère. Mais en réalité, il y a de plus en plus de preuves que la séparation forcée des enfants et des parents cause des dégâts psychologiques qui durent toute la vie. Le système de protection à l’enfance, dévalué et sous-financé comme il l’est, peut lui-même se montrer négligeant et dangereux pour les enfants. »

Une autre militante d’ATD, Jane*, s’est jointe à Cathy pour s’exprimer face à Alston, lors de la rencontre à la mairie de Newham : « La manière dont les parents pauvres sont traités est terriblement disproportionnée. Quand vous faites des économies sur ce qu’il y a de plus nécessaire, vous n’avez plus les moyens de combler les trous. L’État dépense pour les foyers d’accueil de l’argent qui pourrait être utilisé pour empêcher que cet accueil ne devienne nécessaire. Avant, je croyais qu’ici, c’était un pays sûr et que la société s’occupait de celles et ceux qui en avaient besoin. Mais plus maintenant. »

* Un pseudonyme pour respecter l’anonymat de l’oratrice.

Pour lire l’intégralité de la déclaration de Jane à Alston en anglais, voir : When the Right to Family Life Is Violated: Trust Betrayed Again and Again (Quand le droit à la vie familiale est violé : la confiance trahie encore et encore) sur le site d’ATD Quart Monde Royaume-Uni.

Lire l’intervention de la deuxième militante en anglais : “Trapped in a Parallel Universe”.