Héritage culturel

En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer.
Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Elda García (Guatemala).

La soif de lecture d’enfants et de leur famille a fait naître une action de colportage de livres dans un quartier défavorisé d’une ville guatémaltèque. Tout un changement pour la famille de Doña Carlota…

Dans le quartier de Guatelinda, dans la ville d’Escuintla du Guatemala, l’amour des livres enveloppait les matins où, sous les manguiers, nous nous asseyions pour lire avec les enfants, durant la bibliothèque de rue.

Parfois, les enfants nous demandaient de leur laisser les livres et c’est ainsi qu’un jour nous avons commencé à en apporter dans les maisons. Nous avons proposé aux jeunes et aux adultes de les garder pendant une semaine. Doña Carlota se décida alors à prendre un livre pour la première fois. « Peut-être aurai-je le temps de le lire », nous dit-elle. Pour cette mère de sept enfants, il n’était pas facile de trouver du temps pour elle-même au cours de la journée.

En osant emprunter d’abord un petit livre, Carlota commença à prendre goût à la lecture.

Un jour, elle nous expliqua qu’elle préférait les livres plus volumineux car avec eux elle pouvait se distraire plus longtemps le soir, quand enfin elle pouvait consacrer du temps à la lecture.

Une fois par semaine nous allions chez elle pour la saluer et lui remettre de nouveaux livres. C’était alors un véritable jour de fête dans sa maison. À sa porte apparaissaient peu à peu tous les enfants : les plus petits à ses côtés et les plus grands derrière ; là-bas, dans le patio de la maison, ils disposaient tous les livres et nous nous asseyions. Il y avait quelque chose que j’aimais observer à chaque fois : elle prenait le temps d’accompagner les plus petits dans la recherche du livre qui les captiverait le plus, de susciter l’intérêt des plus grands et de veiller à ce que tout le monde ait un livre qui lui convienne pour la semaine.
Carlota était passionnée par les romans ; les livres d’Isabel Allende en particulier avaient pris une place importante dans son temps libre nouvellement conquis. Nous savions qu’au cours de la semaine, Carlota lirait à ses plus jeunes enfants le livre que chacun avait choisi, et qu’elle échangerait aussi avec les plus grands au sujet de ce qu’elle était en train de lire. La famille au complet se rassemblait autour des livres.

Cette année-là, Alicia, la plus jeune de ses filles, commença à étudier dans l’école primaire du quartier. La fillette avait pris de l’assurance et était aussi très motivée.

Carlota était persuadée que le temps que sa famille passait autour de la lecture n’était pas vain. Lorsque nous nous retrouvions, elle me parlait des moments où les enfants prenaient les livres et s’inventaient des histoires uniquement à partir des images. Elle était fière parce qu’ils s’exprimaient avec beaucoup plus d’assurance, plus facilement, et qu’ils avaient une meilleure estime d’eux-mêmes.

Au cours des activités culturelles que nous proposions dans le quartier, nous remarquions que l’imagination et la curiosité de ses enfants allaient en se développant. Pourtant, les moments passés à l’école n’étaient pas faciles pour Alicia. Elle n’avait pas pu être scolarisée avant l’entrée en primaire et avait dépassé l’âge requis pour ce niveau, ce qui la mettait en difficulté. Mais Alicia gardait la force de continuer ses études, en dépit de ses fragilités. N’est-il pas beaucoup plus important de se construire en tant que personne, de gagner en estime de soi, en créativité, en assurance ?

Ces outils fondamentaux pour sa vie d’adulte se forgeaient au cœur de ce patio qui nous recevait chaque semaine.

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