De la banalité à la prise de conscience

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En 2017, ATD Quart Monde a invité à écrire des histoires vraies de changement contre une situation d’injustice et d’exclusion pour montrer que lorsqu’on s’unit pour un même combat la misère peut reculer. Les articles sur notre site ne sont pas signés car il s´agit de favoriser une voix collective. Dans le cadre des 1001 histoires, l’auteur met en lumière une histoire vécue.
L’histoire qui suit a été écrite par Blaise Ndeenga (Cameroun).

Faire des Droits de l’Homme une réalité pour les personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté : Histoire d’une sensibilisation citoyenne.

  • « Comment pouvez-vous nous dire que des personnes pauvres comme nous ont des droits ? Qui va les respecter ? Comment allons-nous faire pour qu’ils soient connus et respectés ? »

C’est l’une des toutes premières réactions que j’ai notées à l’occasion d’un travail de sensibilisation sur le manuel pour la mise en œuvre des Principes Directeurs des Nations-Unies sur l’Extrême Pauvreté et les Droits de l’Homme, co-réalisé par ATD Quart Monde et Franciscans International. Je réunissais alors avec le soutien de la Caritas des personnes vivant dans la grande pauvreté. Quelques mois plus tard, l’interrogation de cette dame a trouvé un début de réponse auprès des parlementaires que je suis allé rencontrer pour leur présenter le manuel :

  • « Ce manuel nous ouvre les yeux sur une réalité longtemps ignorée et négligée : celle de la mise en œuvre d’une politique qui tienne compte de toutes les sphères de notre population. Il est temps pour nous, parlementaires, de réfléchir sur des politiques d’inclusion où les droits de nos populations doivent être respectés. Ce manuel est un outil important à l’élaboration d’une telle politique… »

Voilà deux réactions qui décrivent l’impact qu’a eu le manuel sur deux couches sociales diamétralement opposées : un député et une simple citoyenne. Et à la fin c’est la même prise de conscience suscitée par le manuel sur l’impact du respect des droits sur la vie des personnes vulnérables. De toute mon expérience de terrain, l’idée du respect des droits des personnes vivant dans la pauvreté ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Je cherchais les causes et les éventuelles solutions sur d’autres terrains : mauvaise répartition des richesses, difficulté d’accès à des services, échec des politiques…

J’étais loin de m’imaginer que l’un des socles forts de l’amélioration des conditions de vie des populations résidait dans le respect de leurs droits les plus basiques. Le manuel pour la mise en œuvre des principes m’a apporté cette lumière. La banalité des situations de pauvreté se muait en questionnement de respect des droits. C’était formidable !

J’analysais bien des situations sous ce prisme et je compris que le non respect des droits des personnes est le terreau des situations de pauvreté.

J’ai trouvé une richesse avec le manuel. Et quand on trouve une richesse, on la partage avec d’autres. Il fallait rapidement mobiliser pour que cette réalité soit comprise. Je devins en quelque sorte l’apôtre du manuel. Entre hésitations, doutes, questionnements, espoirs, je suis allé partager ma richesse. Rencontres avec les ONG humanitaires, Caritas, Assemblée nationale, Hommes de loi, Écoles, Prisons, Hommes politiques… Il fallait que tout le monde découvre cette richesse. Beaucoup se la sont appropriée et nous avons engagé un chemin. Dès lors, des sensibilisations, des formations, des plaidoyers ont pris place. Le voyage vers cette prise de conscience du respect des droits des personnes pauvres est engagé. C’est chaque jour que nous sommes face à des montagnes, mais c’est aussi chaque jour que nous les aplanissons parfois par des forces insoupçonnées.

Les deux témoignages suivants en disent long. D’abord celui d’un gardien de prison : « Comment est-il possible de respecter les droits d’un prisonnier qui a tué, volé, spolié et traumatisé des populations ? Ces gens ne respectent aucun droit et par conséquent nous demander de respecter leurs droits, c’est leur accorder un traitement de faveur. Cependant nous espérons qu’avec votre sensibilisation, nous engagerons des réflexions… ». Cela nous donne au moins de l’espoir. Mais la véritable réponse aux interrogations de notre gardien de prison viendra des enfants d’une école primaire qui seulement après deux séances de sensibilisation avec le manuel ont rédigé au bout de leur tableau noir ces belles phrases :

  • « Les droits sont droits
    Les droits n’ont pas de couleur
    Les droits n’ont pas de lieu
    Les droits n’ont pas une catégorie de personne
    Les droits naissent avec nous, nous appartiennent tous et nous comblent de droits… »


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