Chercheurs dans le projet Éducation pour Tous de Tanzanie : la connaissance utile des plus pauvres

Depuis deux ans, une étude participative autour de l’accès à l’éducation est en route, coordonnée par un comité composé de douze hommes et femmes de différentes origines sociales, économiques et culturelles.

Mama Mkude habite à Tandale un quartier défavorisé de Dar-es-Salaam, en Tanzanie. Elle connaît ATD Quart Monde depuis 2003. L’équipe lui a proposé de rejoindre le groupe de recherche du projet Éducation pour Tous.

Que comprenez-vous du projet?

Ce projet est fait pour ceux vivant en situation difficile, comme moi, afin que tous les enfants aient le droit d’aller à l’école. Ce projet a également pour but de comprendre pourquoi les enfants des populations les plus pauvres ne peuvent pas finir leurs études ou ne peuvent pas aller régulièrement à l’école.

Comment êtes-vous impliquée dans ce projet?

ATD Quart Monde pensait qu’ils ne pouvaient pas faire ce projet par eux-mêmes et ont voulu faire participer des personnes très pauvres comme moi, parce qu’ils savent que nous sommes concernés par ce défi que les enfants aillent à l’école et que nous avons de l’expérience. Mon implication dans ce projet est d’être chercheuse, d’aller à différents endroits pour trouver ces personnes concernées par ce défi. J’ai appris que je n’étais pas la seule pour qui c’est un défi bien que je me vois parmi les plus pauvres. J’ai appris beaucoup de choses à travers cette étude. Je me souviens d’avoir rencontré un père qui empêchait sa femme de travailler pour envoyer son enfant à l’école alors que lui n’avait pas de travail…

Quelle expérience avez-vous retenu du projet?

C’est surtout rencontrer des personnes et visiter différents endroits où je n’étais jamais allée, comme UNESCO et Dodoma. Cela m’a permis de me faire beaucoup d’amis. Et à travers cette rencontre avec les autres, ce que j’ai le plus appris, c’est à ne pas m’inquiéter. Avant, l’idée de rencontrer des personnes m’inquiétait, je n’avais jamais coopéré avec des gens, mais maintenant que je n’ai plus peur, je peux parler avec les animateurs locaux ou n’importe qui d’autre venant me demander quelque chose. Je peux parler aux gens sans aucune hésitation. Ce qui a changé le plus en moi, c’est que maintenant, j’ai confiance en moi.

Qu’avez-vous gagné personnellement?

Quand je suis allée faire une présentation à l’UNESCO, je n’avais jamais rencontré de responsables de projet. Nous nous sommes assis à la même table, sur les mêmes chaises, tous avec un seul but, des personnes étaient instruites, et d’autres non. Cela m’a fait comprendre qu’on est tous égaux.

Qu’avez-vous appris des familles ou du projet?

J’ai appris beaucoup de choses, à connaître quelles difficultés les familles rencontrent dans différents endroits. A voir que je n’étais pas seule à avoir une grande famille et ne pas réussir à payer l’inscription de ses enfants à l’école. D’autres personnes rencontrent la même difficulté. J’ai également réalisé que les leaders communautaires devraient penser aux personnes vivant dans des conditions difficiles, ils devraient organiser des réunions pour comprendre les difficultés que chacun rencontre.

Célébration de la Journée mondiale du refus de la misère sur le thème de l’éducation

Dans le cadre du projet d’étude Éducation pour Tous, un atelier a été organisé le 17 Octobre 2015 pour rassembler des personnes vivant dans la pauvreté, des enseignants, professionnels, volontaires et étudiants. 7 groupes de discussion ont été animés par les membres du groupe d’étude Éducation pour Tous. Au total plus de 90 personnes y ont participé. Le format de chaque groupe a permis à chaque personne de parler, écouter et réagir aux autres sans porter de jugement et de manière respectueuse. La question abordée par chaque groupe était : « Quelle est ma part de responsabilités afin d’assurer que chaque enfant commence et finisse l’école primaire ? » Voici quelques points marquants de ce que les gens ont pu dire.

« La pauvreté joue sur l’éducation d’un enfant. Quand un enfant va à l’école, il doit payer les frais de scolarité d’une valeur de 300 Tzs par jour (1 euro vaut 2450 Tzs) , 500 Tzs pour le porridge et pour les élèves de fin de primaire le jeudi, ils doivent amener 1500 Tzs. Quand ils passent leurs examens de fin d’étude, ils doivent payer 2000 Tzs et à chaque fin de mois ils doivent payer de nouveau. Maintenant dites-moi pour un pauvre qui n’a pas 1500 Tzs à donner à son enfant, comment cet enfant va-t-il étudier ? Parce que si cet enfant va à l’école sans argent, en disant que sa mère ne lui a pas donné d’argent, il sera renvoyé chez lui. En tant que parent vous, n’avez pas d’autre choix que de dire à votre enfant de rester à la maison pendant un moment. Ses camarades de classe continuent à apprendre, et ton fils continue à manquer les cours. Donc la pauvreté est un grand problème dans l’éducation des enfants. »

« Même en supposant que la Tanzanie n’est pas une école, tout le fonctionnement du système gouvernemental montre qu’il ne prend pas en compte l’opinion des citoyens, et même au sein de l’école, ils ne sont pas réceptifs aux pensées des parents.

« Je n’ai qu’un seul enfant. Je lutte avec toutes mes forces pour que mon enfant aille à l’école, même si je n’ai pas les moyens, je ferai tout ce que je peux, même vendre des légumes ou des noix afin que mon enfant puisse aller à l’école. »

“Avec nos voisins, nous nous aidons les uns et autres à encourager nos enfants, nous ne les décourageons pas même si nous savons que même en étudiant il n’y a pas forcément de travail à la fin. Nous continuons à leur dire de faire de leur mieux. L’enseignement est la clef de la vie. Nous ne sommes pas allés à l’école mais si nous pouvions retourner en arrière, tout recommencer, nous le ferions, mais ce n’est pas possible. Donc les enfants doivent travailler dur, et quand ils seront assez chanceux pour avoir du travail, ils auront leur propre vie, parce que le seul héritage que vous pouvez donner à un enfant aujourd’hui c’est l’enseignement, rien d’autre ».

“En tant que membre du comité d’école nous avons normalement les statistiques et savons le nombre d’enfants inscrits chaque année. Par exemple, le nombre d’enfants devant être inscrits est de 250, et vous entendez qu’un enfant a été renvoyé car tout est complet. Nous faisons un suivi afin de savoir si c’est vrai. Si c’est vrai qu’il y a déjà 250 élèves, il n’y a rien à faire. Mais si ce n’est pas vrai et qu’on nous a menti, on peut attraper quelqu’un. Un enseignant dépend du comité et ne peut pas s’y opposer. Dorénavant le défi est que les membres du comité ne sont pas des gens toujours disponibles. Donc même si un parent va à l’école, il y a des chances qu’il ne rencontre que le professeur principal, ce qui est difficile pour obtenir de l’aide pour défendre les droits de son enfant. Donc nous insistons pour que les parents consultent les membres du comité directement, mais cette information ne va pas jusqu’ aux parents. Quand un parent vient vers les membres du comité, nous l’aidons en faisant un suivi. »

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Le Projet d’étude Éducation Pour Tous et son Bulletin sont soutenus par l’UNESCO