Chercheurs d’art… ou chercheurs d’or !

  • « Le Mouvement ATD Quart Monde doit aussi être doux, rond, tendre, magique… ! » –  Mme Fournier, militante Quart Monde du Canada

Il, elle est peintre, écrivain, artiste aux multiples facettes, clown, créateur d’instruments ou sculpteur ; ils étaient fleuriste, « simple » volontaire permanent ou artiste en devenir : aujourd’hui ce sont des « chercheurs d’art ». « Chercheurs » d’art parce qu’ils inventent sans cesse en liberté de nouveaux chemins de création avec ceux dont la vie est tellement étranglée qu’ils pensent que l’art est un luxe qui n’est pas pour eux.

« Comme disait Mme Fournier, militante au Canada : « Le Mouvement ATD Quart Monde doit aussi être doux, rond, tendre, magique… ! » Mais cette histoire d’Art et Poésie a démarré dans le bidonville de Noisy-le-Grand en France, rappelle Noldi, volontaire permanent (auteur de Mon coeur est dans ce caillou) passionné par ce chemin du beau que le Père Joseph a placé dès le début au cœur de la lutte contre la misère. Face à l’urgence, Père Joseph créait des espaces du très beau (la chapelle, des vitraux, le théâtre, la danse, le pivot culturel, etc…) Des espaces d’oxygène, pour pouvoir respirer et résister… Des espaces de vérité aussi. Oui, plus on est dans le désespoir, dans une chaîne faite d’échecs et d’humiliations, plus on a besoin de ces bouffées d’oxygène-là pour ne pas sombrer. Certains volontaires ont particulièrement porté cette histoire, et aujourd’hui il y a des publications sur leurs recherches personnelles (les Parcours créatifs1). »

Apporter la culture et l’art dans les lieux les plus oubliés a toujours été au cœur de l’action du Mouvement ATD Quart Monde. Pour les Chercheurs d’art, nom donné à cette recherche en Europe, cette dimension essentielle a façonné leur engagement. « Nous avons la chance de pouvoir vivre dans l’espace des « Chercheurs d’art » avec des compagnons de route, raconte encore Noldi dans son intervention sur l’art à Campus, des moments d’enrichissement, mystérieux et très étonnants, qui tout à coup surgissent. Mais ils apparaissent aussi parce que les gens qui les animent se forment, s’exercent sans cesse, cherchent sans cesse plus loin. C’est à la fois magique et pas magique, il y a beaucoup de travail dans la durée qui rend cette expérience fertile. »

Les albums de Bernadette, retraçant ses 7 années de création en Suisse

La quête artistique de chacun est profondément liée à son histoire singulière. C’est Urs qui va peindre dans des quartiers où des bâtiments ont été démolis, pour honorer les gens et garder trace d’une histoire ; c’est Romain, qui fabrique comme un magicien des instruments avec des enfants et adultes de quartiers défavorisés de Paris, tout en les ouvrant aussi au monde des contes, c’est encore Guendouz qui s’est formé à la peinture et qui prépare un projet en mémoire de ses amis morts dans la cité des Sabliers à Créteil, ou Amandine, fleuriste de métier, qui s’est formée avec une autre volontaire peintre et qui crée aujourd’hui des espaces d’expression non verbale. Et puis Jacqueline qui avec ses peintures colorées sur les façades des immeubles murés, soutenait les familles à Noisy-le-Grand,  pendant ce temps de grande insécurité juste avant la démolition de leur cité… Elle anime à présent des rencontres artistiques avec des membres du Mouvement à Commana, où chacun va plus loin dans la découverte de ses talents. Il y a aussi Philippe qui propose ses ateliers fils de fer, pour permettre à chacun d’exprimer des étincelles importantes de sa vie, Valérie avec ses ateliers d’écriture où chacun accueille le texte de l’autre avec bienveillance dans ce qu’il a d’unique et personnel, Bernadette qui vient de transmettre ses 7 années d’ateliers créatifs à Treyvaux et à la gare d’Yverdon, à travers des peintures et des flashs poétiques, et d’autres encore comme Laurence, qui inspirée par une militante, s’est mise en formation de clown pour apporter ce rêve-là au Quart Monde et à tous ceux qui souffrent d’enfermement… Aujourd’hui avec son nez tout rouge tout rond et les cheveux bouclés tout orange, c’est sous le nom de Bulle qu’elle approche les gens, faisant danser autour d’elle ses bulles de savon et ses paroles poétiques.

Les Chercheurs d’art, ce sont aussi des personnes ayant vécu l’humiliation de la misère qui découvrent leur potentialité créatrice. François a sculpté pendant 10 ans un tableau en bas relief en y associant des membres du Mouvement en Suisse. Il raconte dans un article du blog Un monde autrement vu la découverte d’une militante Quart Monde investie à fond dans ce travail : « J’ai réfléchi… Maintenant j’ai compris ce qui m’a faisait du bien quand on sculptait le bois : à chaque coup que je donnais, c’est ici (en montrant un endroit entre le cou et la poitrine) que je sentais se casser comme un bloc de béton. »

Bas-relief de l'atelier sculpture à Treyvaux avec François
Bas-relief de l’atelier sculpture à Treyvaux avec François

Nelly a connu l’exclusion et le rejet dans son enfance. Au fil de ses rencontres avec des volontaires d’ATD Quart Monde, elle a découvert le trésor qu’elle a dans ses mains, capables de faire naître une immense tapisserie sur la vie du père Joseph, puis peu à peu des peintures faisant d’elle l’artiste qu’elle est aujourd’hui.

Ros anime avec des membres du Mouvement des ateliers de création de sculptures à grandeur réelle (Hommes et Femmes de Courage). Elle rappelle que tous ces projets ont deux dimensions : « C’est une étape pour prendre tout simplement confiance en soi. Mais aussi c’est une valeur en soi pour certains d’entre nous qui expriment leur vécu profond avant tout artistiquement. »

Laurence souligne : « Oui c’est ça, l’art doit rassembler les gens, à travers cette part de ce que chacun ressent d’essentiel en lui et qu’on veut absolument exprimer pour enrichir le Mouvement. »

 

Les Parcours créatifs sont disponibles au Centre Joseph Wresinski à Baillet-en-France / 5€ pièce / 8 numéros. S’adresser à :

« Ces parcours parlent principalement de dessin et de peinture. Mais d’autres pourront écrire d’autres aventures relatant la diversité de la créativité dans le mouvement.(…) Sept personnes ont accepté de raconter la part qu’elles ont donnée ou donnent à la création artistique dans leur vie de volontaire : Annelies Wuillemin, Christian Januth, Noldi Christen, François Jomini, Guendouz Bensidhoum, Bernadette Robert et Urs Kehl. Sept approches différentes. Certains n’éprouvent pas le besoin de peindre ou dessiner à tout prix, d’autres oui, impulsion qui peut être perçue comme antinomique avec la disponibilité, qualité nécessaire à notre manière d’être volontaire. Concilier les deux aspects, lorsqu’ils se présentent, devient alors un travail avec soi-même et avec les autres pour créer un espace de compréhension. (…) Ces différents points de vue ont l’avantage de ne pas encercler la question de la création artistique dans une pensée unique ou des définitions. Ce qui est dit est l’expérience concrète liée à la vie. La certitude aussi que l’accès à la beauté ouvre le chemin vers l’autonomie. C’est l’un des aspects originaux du mouvement. Il exige beaucoup d’ambition, le perdre équivaudrait à se saborder. » Introduction aux Parcours créatifs, par Jean-Pierre Beyeler (également auteur d’un Parcours)

  1. «Parcours créatifs» / 5€ pièce / 8 numéros