Intervention de Hoang Nguyen, travailleuse sociale

Des projets de lutte contre la misère non adaptés aux besoins des personnes. Colloque international « La misère est violence, rompre le silence, chercher la paix » Maison de l’UNESCO 26 Janvier 2012

Mme Nguyen Hoang est travailleuse sociale. Elle a travaillé avec des familles qui habitaient près d’une décharge publique dans une province du sud du Vietnam. Le projet qu’elle menait avec ces familles comprend leur relogement, la formation aux métiers alternatifs à la récupération des déchets, la scolarisation des enfants, les actions de prévention et de lutte contre le trafic d’êtres humains.

Nous essayons de bâtir à partir de ce que nous comprenons des familles qui participent au projet. Les autorités locales et les associations partenaires considèrent notre projet comme un modèle à reproduire ailleurs. Cependant, elles ont tendance à se concentrer sur ce qui paraît bon en façade. Par exemple, elles apprécient la beauté des maisons où ont été relogées les familles qui vivaient auparavant près de la décharge publique. Elles trouvent formidable l’ « école du cœur » que nous avons construite pour accueillir les enfants qui n’ont pas pu s’inscrire à l’école publique, parce qu’ils n’ont pas de certificat de naissance, sont trop âgés pour la classe de leur niveau ou parce que leurs parents n’ont pas d’argent pour payer les dépenses scolaires. Elles sont contentes que personne ne vive plus à côté de la décharge et que quelques personnes soient embauchées par l’entreprise qui a obtenu la concession de la ville pour recycler les ordures. Les médias locaux montrent les bons résultats visibles. Ce que ces organisations partenaires ne mentionnent pas, ce sont tous les efforts que les familles font elles-mêmes pour surmonter les difficultés.

Une réalité déconnectée des besoins réels Toutes les soixante-dix nouvelles maisons ont été construites à l’identique selon un seul modèle, comprenant un salon, une chambre, une salle de bain et WC, plus l’espace cuisine, le tout faisant 32 m² au total. Il convient pour un couple ayant deux ou trois enfants. Or la plupart des familles ont en moyenne sept enfants. L’une a neuf enfants et plusieurs de ces familles ont les grands-parents avec elles. Pour réduire les coûts, la construction a été faite d’une manière que quatre maisons partagent des murs mitoyens et un même système d’aération. Ainsi, les bruits venant d’une maison s’entendent très fort chez les trois autres, comme si tout le monde se trouvait dans la même pièce. En conséquence, les jolies petites maisons ne sont pas si calmes et n’offrent pas beaucoup d’intimité et de sécurité. Avoir un verrou à la porte d’entrée n’est d’aucune utilité quand quelqu’un peut entrer en grimpant par l’arrière.
Quand les familles disaient que les maisons ne correspondaient pas à leurs besoins, l’organisation partenaire a répondu qu’elles n’avaient pas le droit de demander davantage, puisqu’elles ont obtenu leur maison à très bon marché. Certaines personnes commencèrent à regretter le temps où elles vivaient encore à la décharge et disaient qu’elles allaient y retourner.
Pourquoi donc les familles préfèrent-elles leurs vieilles cabanes dans un environnement qui sentait mauvais à ce nouveau lotissement ? Il faut remonter aux conditions qui leur ont été proposées pour l’accès à leur nouvelle maison, l’une étant qu’elles arrêtent de travailler à la décharge. Comme les familles n’ont pas toutes trouvé un autre moyen de gagner leur vie, certaines y retournaient la nuit pour faire la récupération. D’autres entreprennent d’élever des poules et des canards pour améliorer leur maigre revenu.
Puisque les nouvelles maisons n’ont pas de jardin, certaines personnes ont converti leur chambre à coucher en poulailler et toute la famille dort maintenant dans la salle de séjour. Le manque d’intimité et la vie à l’étroit créent beaucoup de tension voire de violence au sein des familles et entre voisins. Les gens ne se disputaient pas comme cela auparavant.
Ils disent qu’auparavant ils formaient une communauté, se sentaient comme d’une famille. Ils avaient l’habitude de se rendre visite et passer de bons moments ensemble. Les cabanes n’étant pas collées les unes aux autres, il y avait moins d’intrusion et d’immixtion dans leur vie de famille. A présent, les gens ont du mal à se faire confiance. Ils disent que l’unité entre voisins n’est plus ce qu’elle était.

Un nouveau projet bâti ensemble De cette mauvaise expérience de partenariat, notre association essaie de tirer des leçons pour reprendre la construction de logements pour ces familles. Nous allons associer les familles à la conception des maisons. La taille des familles sera prise en compte dans le calcul de la surface habitable des nouvelles maisons, et celles-ci ne seront plus attenantes. A travers leurs remarques sur les vices de construction du projet précédent, nous avons su qu’un certain nombre de personnes de la communauté s’y connaissaient en bâtiment. C’est pourquoi, nous comptons proposer cette fois aux familles de contribuer par leur temps et leur travail à la construction des futures maisons. Elles auront ainsi leur mot à dire à toutes les étapes du projet.
Nous prévoyons sur le lieu un jardin et un terrain de jeu pour les enfants et un foyer pour les adultes. Une place avec des bancs sous les arbres sera aménagée où les habitants pourront se rencontrer et s’amuser ensemble. Les autorités locales ont déjà mis à disposition deux hectares pour ce projet. Pour détendre l’atmosphère et veiller aux bonnes relations entre les gens, nous comptons créer un groupe que nous appellerons « Bâtisseurs de paix ». Il sera composé des personnes de la communauté et des membres du personnel de notre association.

Je rêve que les membres de la communauté soient les créateurs du projet, qu’ils aient eux-mêmes la responsabilité de le mettre en œuvre, de le contrôler et de l’évaluer. Et j’espère que grâce à ce projet les gens pourront reconstruire la confiance et la paix ensemble. J’attends de moi-même et de mes collègues que tout ce que nous faisons avec les familles vienne de l’honnêteté, l’amour, la confiance.